Chalets
d ’Aïiè.
M a i s comme on craint toujours que l’ouragan ne les fur;
p ren n e , dès que l ’on apperçoit le moindre ligne d’orage /
on voit fortir de tous les C h ale ts, les Femmes & les jeunes
Garçons qui courent avec uiïe agilité é ton nan te , même contre
les pentes les plus rapides, pour ramener leurs troupeaux
dans des abris éloignés des bords efcarpés de la montagne.
J’ a i été moi-même témoin d’un de ces coups de vent ; j’é-
tois heureufement rentré dans le Chalet : car quand ils font
dans leur plus grande fo r c e , ils renverfent même leshommes
les plus vigoureux : tant qu’il foufla je crus à chaque inftant-,'
que le Chalet alloit être emporté ; le t o i t , quoiqu’il defcende
prefque jufques à te r re , quoiqu’il foit chargé de groffes pierres,
& que Le vent dût gliffer fur la pente qu’il lui préfente , fern.
ble à tout moment devoir être enlevé 3 & en e ffe t, il arrive
fouvent que ces coups de vent orageux arrachent une des
pentes du to it, & la replient fur la pente op po fée , de même
qu’avec le foufle on tourne le feuillet d’un livre. Quand le
vent me parut un peu ca lm é ,‘ je voulus juger par moi-même
de la force qui lui reftoit encore , & malgré les confeils de mes
h ô te s , je levai une barre qui retenoit la porte ; mais à l’inf-
tant où cette barre fût ô t é e , la porte s’ouvrit avec une telle
violence que je fus jeté en arriéré à la renverfe , & tous les
meubles du Chalet furent enlevé s, & accumulés au pied du
mur qui eft à l’oppofite de la porte.
L es Chalets de la Communauté d’A ïfe , par lefquels on paife
en montant de la B o n n e -V ille à la pointe du M ô le , font
litués au Sud - Sud - E f t , au delTus de cette p o in te , & élevés,
fuivant l’obfervation de M. Pi c t k t , de * 78 toifes au deffus de
notre Lac. Ils font conftruits comme ceux de la T o u r , »ai«
fle f0nt pas comme ceux-ci , difperfés fur la circonférence
¿’une même prairie.
Je ne fais fi c’eft l’aftion continuelle dans laquelle vivent
les habitans du Môle, ou l’air vif de cette montagne ifolée ,
qui leur donne un langage plus énergique & plus rapide que
celui des autres montagnards de la Savoye ; & qui entretient
chez eux une gayeté & une vivacité charmantes, malgré les
¡rudes:. travaux auxquels, ils font ailreints. On me permettra
¿’en rapporter un trait, qui prouve en même tems un efprit
de réflexion, bien rare dans cette claife d’hommes, toujours
preifés par la néceffité de pourvoir à leur fubfiftance.
J’a v o i s avec moi ce Chien qui avoit G courageufement donné
la chaife aux Loups : un foir avant de fe coucher fur un tas
d’herbes, il fe mit à tourner fur lui-même, comme les Chiens
ont accoutumé de faire en, pareil cas. Un Berger qui étoit
¡préfent, me dit en riant : je parie que vous, Monfleur, qui
connoiifez toutes les herbes, & les pierres de la montagne,
vous ne faurez pas répondre à une queftion que je. vais vous
faire. Pourquoi ce Chien tourne-t-il fi long-tems avant de fe
coucher, tandis qu’un Homme fe couche tout de fuite fans
¡tourner fur fon lit ? Je répondis que le Chien faiioit ce mouvement,
pour produire un enfoncement dans lequel il fe trou«
|vât plus à l’aife. Point du tout, répondit le Berger ; car il
pourroit pétrir cette herbe fans tourner ; mais ne voyez-vous
pas à fon air incertain g qu’il ne tourne que parce qu’il héfite
fans cefle, fur l’endroit où il mettra fa tête;, il veut la mettre
lai..,, puis l à , puis encore là; il n’y a point de raifon qui
[le décide ; au lieu qu’un Homme qui voit d’abord le chevet
fur lequel il doit placer fa tête, n’héfite ni ne tourne. J-a-
Caraiîere
des habitans
du Môle.