
Iles Mariannes. Nigsihan, que la légèreté et la turbulence des habitans rendoient la plus
H istoire. difficile à administrer.
1671 (suite). Quoi qu’il en fût, les Mariannais étoient plutôt comprimés par la force
que retenus par ia conviction. Humiliés d’avoir été vaincus , ils n’obser-
voient que par nécessité les conditions du traité de paix, tandis que, sans
cesse excités par Choco, Horao et leurs makahnas, iis méditoient sourdement
des projets de vengeance. Cinq mois se passèrent dans un calme
trompeur, jusqu’à ce qu’enfin de nouvelles circonstances vinrent faire
encore éclater ia révolte.
Diégo Bazan, jeune catéchiste attaché au village d’Aporgoan, où ba-
bitoit aussi Kipaiba, médiateur de la dernière paix, voyant ce noble Mariannais,
avec iequel il étoit lié, déshonorer la religion par son libertinage,
lui en fit des reproches, et l’invita à marcher dans de meilleures voies.
Malheureusement sous l’empire d’une passion trop forte pour écouter de
telles représentations, celui-ci s’en offensa, et résolut de se défaire de
l’ami qui n’étoit pour lui qu’un censeur incommode.
Les Mariannais célibataires avoient l’usage, ainsi que nous ie dirons ailleurs,
de se rassembler dans des maisons communes pour se iivrer au
plus honteux libertinage avec de jeunes filles qui s’y rendoient de leur côté ,
du consentement et souvent même d’après les exhortations de leurs mères :
ces maisons, nommées goma alitao [maisons des célibataires], étoient
jadis extrêmement répandues; il s’en trouvoit une alors très-renommée
à Chachfflgffl (pl. 59), village devenu la retraite d’un grand nombre de
jeunes débauchés. C'est principalement à eux que s’adressa Kipoha, sûr de
trouver là des exécuteurs zélés de ses criminels desseins : deux hommes
1672. allèrent en effet, le 3 i mars i 672 , à la rencontre de Bazan; et après lui
avoir parlé quelque temps avec amitié, ils saisirent i’instant où il y pensoit
le moins pour le poignarder et le percer de ieurs lances.
A la nouvelle de ce meurtre, ie P. Sanvitores envoya sans délai aux
autres missionnaires, des avis pour qu’ils se missent sur leurs gardes ;
et cependant plusieurs d’entre eux, tant à Chfflchfflgffl qu’à Ipao, furent
tués dans des embuscades avec une horrible cruauté. Pour iui, s’étant
mis en route pour Tomon le i . " avril, il y arriva ie lendemain. Apprenant
là qu’une fille venoit de naitre, il s’empressa de se rendre à l’ha-
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t , i 8 i
bitation du père, nommé Matapang, qu’ii avoit baptisé autrefois et guéri lie s Mariannes,
d’une dangereuse blessure ; mais cet homme fougueux avoit abandonné Histoire,
depuis une religion qui ne pouvoit être en harmonie avec ses passions.
A la vue du vénérable prêtre , oubliant ses bienfaits , il ne chercha qu a
se défaire d’un témoin de son apostasie et d’un juge incommode; furieux ,
il l’accabla d’injures et de menaces, refusa d’écouter ses exhortations,
et sortit pour engager Hirao, un de ses voisins, à seconder ses projets
homicides. Quoique idolâtre, Hirao ne consentit pas sans difficulté à le
suivre. En rentrant avec lui, Matapang s’aperçut qu’on venoit de baptiser
sa fille, ce qui le mit si fort en colère, qu’il lança plusieurs traits aussitôt
à Calangsor, Philippinois, compagnon du P. Sanvitores, qui s’offrit ie
premier à ses regards et n’esquiva une aussi brusque attaque , que
pour tomber sous ies coups d’Hirao ; celui-ci i’abattit à ses pieds en le
frappant de sa katana ( i ). Les meurtriers s’élancèrent alors de concert
sur le P. Sanvitores, qui, n’ayant à ia main pour toute défense qu’un
crucifix, se borna à ie ieur opposer ; sur le point d’être mortellement frappé,
il dit à Matapang: Qiie Dieu te fasse miséricorde! et tomba aussitôt sous
la katana d’Hirao et la -lance de Matapang. Ce dernier se jetant ensuite
sur le cadavre, arracha le cilice dont il étoit couvert, écrasa entre deux
pierres , en proférant d’abominabies blasphèmes, un petit crucifix que ie
missionnaire portoit à son cou, s’empara d’un grand crucifix d’ivoire que,
comme un nouveau Judas, ii vendit dans la suite trente sacs de riz, et
partagea enfin avec Hirao le reste des dépouilles. Ces vengeances n’assouvirent
pas ieur rage : pour ravir à ces martyrs les honneurs de la sépulture,
iis firent disparoître attentivement jusqu’aux moindres traces du
sang répandu sur ie soi; et après avoir attaché de grosses pierres aux pieds
des deux cadavres, ils les mirent dans une pirogue, et, s’étant éloignés
de ia côte, ies précipitèrent dans les flots.
Cependant les Chochogais, liés d’intérêt avec Matapang et Hirao,
cherchèrent à animer, par de nouveaux efforts, leurs compatriotes contre
les Espagnols, dans la crainte que ceux-ci ne voulussent tirer vengeance
des meurtres récemment commis. En peu de temps tous les peuples de
( I ) So rte de casse-tête tranchant, en pierre.