
Partis de Timor, nous nous acheminâmes vers le détroit de Bourou,
N ov em b re, en passant entre les îles Wetter et Roma {voy. pl. 1 5). On ne tarda pas
^ reconnpitre qu’à mesure qu’on s’éloignoit de terre , la chaleur deve-
noit moins forte et moins incommode ; les soirées même étoient assez
fraîches. Toutefois, cette amélioration dans la température n’apporta
aucun soulagement à l’état de plusieurs de nos malades ; la dysenterie
dont ils étoient attaqués continua à faire tles progrès aiarmans. Le 16 novembre,
nous perdîmes le jeune Bernard , fort bon matelot, et le canon-
nier Guégan. Ces scènes de mort sont terribles à bord d’un navire; elles
répandent le découragement et je dirai presque l’effroi dans l’ame de
ceux qui, atteints de la même maladie, s’attendent de jour en jour à en
subir les tristes conséquences. On se demandoit avec anxiété s i, non
m oins malheureux que les compagnons de Baudin, nous étions destinés
à voir disparoître d’au milieu de nous tous les infortunés frappés de cet
atroce fléau.' Le 28 , nous eûmes à regretter encore la perte du matelot
- Lenoc.
Arrivés le 2p devant Amboine, nous profitâmes d’un vent favorable
pour donner dans le détroit de Bourou, sans nous arrêter à visiter les
îles dont nous étions environnés, et qui toutes sont plus ou moins célèbres
dans les fastes des Moluques.
Décembre. Le I .''' décembre, nous aperçûmes sur la côte de Manipa une quinzaine
de corocores qui, chargées d’un nombreux équipage, s’approchèrent
de nous, la nuit, à force de rames , de divers points de l’horizon.
Ignorant quelles pouvoient être leurs intentions , nous crûmes prudent de
nous tenir sur nos gardes. En conséquence, nos canons et nos menues
armes furent chargés, les filets d’abordage tendus, et l’équipage disposé
sur le pont. Ces précautions ne seront pas jugées inutiles par les personnes
qui ont fréquenté ces mers, et qui savent combien les pirates
malais sont entreprenans et redoutables.
On a vu, en effet, plus d’une fois, des embarcations de ce genre ,
montées par trente à quarante hommes, et réunies ordinairement en
grand nombre, assaillir et capturer des navires marchands, et même des
corvettes de guerre qui naviguoient avec trop de sécurité, et en égorger
impitoyablement les équipages. Mais, soit que les corocores qui nous
LIVRE III. — D e T jm o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 3
entouroient n’aient pas osé, après nous avoir mieux reconnus, venir nous
attaquer, soit que réellement elles n’en eussent point formé le projet, il
est de fait que tout-à-coup eiles changèrent de route, et que nous pûmes
continuer la nôtre sans ia moindre difficulté.
Parvenus devant l’île Gas.ses, nous la prolongeâmes d’assez près du
côté de l’Est, pendant une pluie copieuse et un vent violent. « Cette terre
peu élevée, qui, dans une certaine direction, présente une forme assez
pittoresque, est couverte du plus beau massif de verdure que j’aie jamais
vu, dit M. Quoy : à peine en étions-nous éloignés d’un mille, et nous
distinguions des arbres à tige droite et eiancee, dont les pieds dévoient
parfois être baignés par ies eaux de ia mer ; entre eux des arbrisseaux
secondaires remplissoient les espaces vides ; et les rameaux des uns et
des autres sembloient en s’entrelaçant composer un tout inséparable.
Le lendemain 5 , nous eûmes connoissance des îles Gorongo et de
Giloio; mais le calme, en s’établissant, nous rendit bientôt le jouet de
courans qui nous firent dériver dans le Sud-Est jusqu’à l’île Pisang ,
près de laquelle nous étions ie 7.
Dès le matin, trois grandes corocores furent aperçues à l’horizon ;
elles appartenoientài’îIeGuébé(i) et en portoient le pavillon (roy. pl. 37):
deux d’entre elles et une pirogue, profitant du calme et s’aidant de leurs
avirons , ne tardèrent pas à nous accoster ; la troisième fit une manoeuvre
différente. Pour le maintien de l’ordre, je ne laissai monter sur mon
bord que le capitaine de chacune d’elles et un officier qui paroissoit
revêtu d’une autorité supérieure'. Le caractère vif, ouvert et spirituel de
ce dernier nous frappa ; son air de dignité, son intelligence et son
aplomb dans le commandement , n’étoient pas moins remarquables.
Quoique le malais ne fût pas sa langue propre, il le parloit cependant
avec facilité , ainsi que i’idiome papous. La conversation s’établit
bientôt entre nous. J ’appris qu’ii s’appeloit Abdalaga Fourou, qu’il étoit
kimalaha de l’île Guébé, et venoit du havre Dory , sur la côte septentrionale
de la Nouvelle-Guinée, ori il étoit ailé chercher du sagou. Cette
dernière circonstance nous parut d’abord douteuse, attendu qu’il ne se
( i ) L es Anglais écrivent Gehy pour le nom de cette île , qui doit se prononcer G u é b é ,
comme nous l’avons indiqué et que le prononcent les naturels du pays.
A ^
D e T im o r
à R aw a k .
Entrevue
avec
ies Guébéens.