
Ile s Ca roline s. coiisues ensemble, le balancier, levier énorme, doit exercer une action
D e i’ honime
en société.
puissante pour les désunir. Eh bien ! malgré toutes ces causes de destruction,
nous ne les avons jamais vues prendre l’eau par les coutures. Ii est
vrai qu’après chaque course, ces insulaires réparent totttes celles qui se
sont relâchées, et garnissent de mastic ies moindres fissures. Mais si ces
pros ne prennent point d’eau de cette manière, il est certain que le choc
des iames en embarque assez dans l’intérieur pour qu’un homme de i’équipage
soit obligé d’avoir sans cesse l’escope à la main.
Dans le cas où la force du vent i’exige, ii y a continuellement deux
personnes placées à l’écoute, qui est alors doublée, et c’est par ce seul
moyen qu’ils gouvernent : la mollir ou l’abraquer suffit pour faire arriver
ou lofer. Iis s’étudient à tenir ia voile toujours pieine, afin que l’embarcation
ait un bon sillage. Iis courent des bordées en droite ligne, avec
une précision étonnante, et ne dérivent que fort peu, même sans le secours
du gouvernaii, dont iis se servent rarement, ainsi que nous ie
verrons bientôt.
» Lorsqu’ils naviguent près des côtes de quelque île où ia force et
ia direction de la brise sont souvent variables, ils mettent une attention
particuiière à veiller l’arrivée et la durée de la rafale ; dès que l’accaimie
lui succède, le pros se range au vent avec vitesse; iis bordent alors ia
voile à plat, et, laissant un peu porter, se tiennent prêts à recevoir ia
nouvelle risée. Iis seroient en effet en danger de chavirer s’ils s’exposoient
à être masqués. Quelquefois la barque se lance dans le lit du vent avec
tant de force, qu’il faut que deux ou trois hommes sautent à la poupe,
et qu’à l’aide de pagaies ils empêchent la voile de ralinguer.
» Quand deux pros viennent à s’accoster ou à naviguer dans le voisinage
l’un de i’autre, il est nécessaire de gouverner avec plus d’exactitude, et
pour cela on fait encore usage de la pagaie, qu’un homme emploie à la
poupe; mais ordinairement, et pendant les traversées, on ne se sert que
de l’écoute. A l’égard du gouvernail proprement dit, qui pourroit bien
n’être chez eux qu’une invention moderne empruntée aux Euorpéens, iis
ne s’en servent guère que quand ils courent grand largue ; encore n’en
tirent-ils pas tout le parti possible. Leur manière de le maintenir en place
est très-pénibie et en rend l’emploi fort peu efficace. Ils le jetèrent au loin
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 1 3 1
un jour devant nous avec impatience, ne pouvant lui faire produire Iles Caroiines.
l’effet qu’ils vouloient ; trois d’entre eux aussitôt prirent leurs pagaies, et De l’homnw
tinrent le navire dans la direction desirée. Mais que de fatigue iis se
donnent! Par un grand sillage, il faut au moins trois hommes pour
tenir en route , tandis qu’un seul, avec le gouvernaii, suffiroit dans
tous ies cas.
» Nous avons parié de la position du timonnier, qui, pour agir, est
obligé d’être assis en dehors du pros, sur une traverse large seulement
de trois pouces ; ii se cramponne en outre au méchaliha. Tous les gens
de l’équipage doivent passer à tour de rôle à ce poste difficile. Pendant
ce temps on ne manoeuvre plus i’écoute , quoiquun ou deux hommes
soient toujours occupés à la tenir. Nous vîmes un Carolinois rester six
heures à la barre, assis constamment dans cette posture gênante : la
mer étoit grosse, et il eut presque continueilement la cuisse dans leau,
sans paroître craindre les requins, qui cependant auroient bien pu le
saisir.
» Quand un pros vient à chavirer, l’équipage suffit dans tous ies cas
pour le remettre à flot. A cet effet, une partie des hommes se placent
sur le balancier, et, par ieur poids, font faire à la barque presque un
demi-tour: les autres se suspendent aux chouas, et finissent ainsi par opérer
la conversion. Mais préalablement ils se sont tous mis à ia nage, ont
déplanté le mât, paqueté la voiie, et fait une espèce de drôme de tous
ies effets détachés que la pirogue contenoit. Dès qu’elle est retournée,
ils la vident promptement avec les escopes, puis replacent ie mât et tout
le reste de l’équipement.
» Les pros carolinois sont bons pour les mers intertropicales, où la
lame n’est jamais extrêmement grosse, et où les vents n’ont pas habituellement
la même violence que dans nos climats. On pourroit y apporter
de nombreuses améliorations, sur-tout dans l’aménagement ; mais
elles n’auroient que peu d’utilité aux yeux d’hommes accoutumés à coucher
à l’air et à recevoir tout nus la pluie sur le corps, d’hommes enfin
qui n’embarquent que juste la quantité de vivres nécessaire pour ne pas
mourir de faim. Quoique nos canots soient d’une structure plus solide
et moins sujette aux avaries, il est hors de doute qu’ils ont aussi leurs