
Iles M.i riannes, le vent s’opposoit à son départ : nous voulûmes aussi consulter Ouame-
'''O'-'s répondit qu’il alloit appareiller; en effet, à 7 heures du
et T i n i a n . matin uous remîmes à la voile, laissant les autres pros sur la piage. Les
vents étoient forts, et la mer assez grosse pour que nous fussions incessamment
couverts d’eau. Le temps étant à grain, les Carolinois, dès qu’un
nuage noir paroissoit à l’horizon, commençoient les prières que nous
avons décrites, et les continuoient, ainsi que ieurs gestes, jusqu’à ce que
ia nuée eût passé sur nos têtes.
» Avant de partir, j ’avois tué deux corbeaux ; nos insidaires n’y
ayant pas touché, nous pensions d’abord que c’étoit par une espèce de
superstiiion : mais ils nous expliquèrent que chez eux ces oiseaux sont
en horreur, parce qu’ils fréquentent les cimetières et se nourrissent de
chair humaine. Il ne leur falloit rien moins qu’un tel motif pour les forcer
à l’abstinence; car, pendant cette journée, ils se montrèrent disposés à
manger à toute heure. Ils allumèrent du feu à bord afin de faire cuire un
fou que j ’avois abattu : ils ne cessoient de nous engager à multiplier nos
repas , sachant bien que nous ieur livrions toujours quelques morceaux
de volaille et sur-tout du pain , dont ils étoient très-avides. Tontes leurs
provisions de campagne consistoienten cocos mûrs, qn’ils aiment beaucoup
et qui font ieur nourriture habituelle. Ils chantoient presque tout le jour ;
à terre, l’équipage des trois pros se réunissoit pour faire de longues prières
également psalmodiées.
» Nous ne mouillâmes à Rota que fort avant dans la soirée. A cause
de l’obscurité de la nuit, nos pros ne se maintenoient l’un à côté de l’autre
qu’en se réglant sur de mutuels signaux faits avec un buccin , instrument
que les Carolinois ont toujours dans leurs pirogues, et qui s’entend de
fort ioin.
» Comme il étoit impossible de rien distinguer autour de nous, et que,
dans l’incertitude où nous étions de la position exacte de la passe, il eût
été imprudent de chercher à gagner terre, je tirai un coup de fusil, espérant
qu’on allumeroit un feu sur la côte, ou qu’une embarcation viendroit nous
aider à franchir ia barre. En effet, nous ne tardâmes pas à distinguer une
vaste clarté sur le rivage, ainsi qu’une pirogue à balancier qui se mit à rôder à
distance pour nous reconnoître, mais sans oser beaucoup s’approcher : on la
Exc ur s ion
à Ro ta
et T i n i a n .
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t , i 5 9
héla plusieurs fois, et elle se décida enfin à nous accoster. Elle étoit si petite Mariannes.
que je ne voulus pas en profiter pour descendre. M. Arago, qui soiiffroit
du mal de mer, brava ie danger; mais à peine la pirogue s’éüoit-elle
éloignée de sept ou huit brasses, qu’elle chavira : nos Carolinois se jetèrent
à l’eau sur-le-champ, et ramenèrent les naufragés et la barque.
Une autre embarcation plus grande arriva biei'ktot; et, après deux voyages
successifs, nous nous trouvâmes tous ies trois réunis dans la maison de
i’aicade. 11 nous fit un accueil plein de cordialité; mais ses politesses et
ses attentions devinrent excessives, lorsqu’il eut fait lecture des lettres du
gouverneur que nous iui avions apportées.
» Le coup de fusil que j’avois tiré avoit répandu i’alarme dans toute
l’île : ies femmes avoient fui vers les montagnes; les hommes s’étoient
armés de leur mieux; et l’on ajoute même que quelques personnes avoient
émis l’opinion de se rendre, puisque aussi bien ii n’y avoit aucune espérance
de résister à des ennemis armés de fusils. Ces craintes etoient justifiées
à certains égards par des lettres reçues de Geam antérieurement à
notre arrivée ; on y disoit en effet : «> La corvette mouillee au poit San-
>• Luis n’est point française, comme on a voulu ie faire croire, m.ais porte
» des insurgés de l’Amérique espagnole ; elle attend ici un second navire
» pour s’emparer de Goam : tous les habitans en sont persuadés; le gou-
.. verneur seul tient ces étrangers pour honnêtes gens. En attendant, ieur
» commandant va envoyer visiter les iles du Nord par trois officiers que
» vous verrez à Rota. »
» Le lendemain de notre arrivée, nous fîmes plusieurs courses sur
différens points de i’île, et visitâmes quelques ruines d’anciens villages
(pl. 73 ). Les observations variées que nous avons recueillies se trouveront
réunies plus tard à la description générale, sujet spécial d’un chapitre de
cette histoire.
» Un des faits les plus extraordinaires dont nous ayons été témoins au
village de Sosanhaya , est la maladie d’un certain Kikané. M. Arago a pris
des dessins exacts de cet homme, dont tout le corps est couvert d’une
multitude de tubercules; quelques-uns ont un volume étonnant (voyez
pl. 78 ) : il en sera de nouveau fait mention.
» Aucun ecclésiastique n’est à demeure à Rota ; les naturels n’oublient