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D é cem b re .
D e T im o r
à K aw ak .
4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE,
trouvoit guère sur la route qu’il disoit avoir suivie; mais peut-être, comme
nous, avoit-il été drossé par les courans ; ne pouvoit-on pas admettre aussi
qu’il eût visité subséquemment (et pour le même objet) quelques-unes des
îles voisines de Pisang î Je ne me permettrai pas de décider entre cette
manière de voir et celle de quelques-uns de nos messieurs, qui crurent
démêler en lui un pirate en croisière, et épiant sa proie. Il est certain
que les deux corocores qu’il commandoit ayoient chacune au moins
cinquante hommes d’équipage , et une excessive quantité d’arcs , de
flèches, de lances, & c ., autant que nous pûmes en juger pendant les
échanges qui se firent avec eux; car aucun de nous n’obtint de descendre
dans leurs embarcations. J ’ai présumé qu’ils y avoient des femmes , et
que c’étoit là le motif qui nous en faisoit exclure.
L ’heure du déjeûner étant arrivée , je reçus à ma table , avec le
kimalaha, ses deux principaux officiers , qui, quoique musulmans, burent
tous sans diificulté des liqueurs douces et du vin ; mais point de rum,
qu’ils nomment arack, et considèrent comme une liqueur plus spécialement
pioscrite. Quelques cadeaux cjue je fis à Abdalaga, une des mes
chaises entre autres qu’il paroissoit desirer et que je lui permis de
prendre, le mirent tout-à-fait de bonne humeur : il tâcha de me décider
à venir relâcher à Guébé, où, disoit-ii, il y a un excellent port(i), dont
il vouloit me montrer lui-même les meilleures passes. Mon refus le surprit,
et il me demanda quel pouvoit donc être le but de mon voyage : puisque
ie roi de France, ainsi que je ie lui assurois, n’étoit en guerre ni avec ies
Hollandais, ni avec les Anglais, ni avec les Portugais, il ne concevoit
pas, disoit-il, que je négligeasse de me rapprocher des îles où se fait
le commerce, et que je voulusse au contraire aller absolument moiiiiler
à Vaigiou ou à Rawak , jjays barbares, et pauvres en ressources de
toute espèce. Je lui fis entendre de mon mieux qu’il m’étoit ordonné
de lever les cartes des pays peu connus que je visitois; d’étudier le caractère
des hommes qui les habitent, les denrées propres au ravitaillement
des vaisseaux, et les produits susceptibles de devenir un jour l’objet d’un
( i ) C ’est le port de Fohou , situé au Su d de l’i le , dans lequel mouilla jadis JVI de
C o ë t iv y , chargé par M . P o iv re d’introduire à l’Jle-de-France les plants de muscadiers qui y ont
depuis si bien prospéré.
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 5
commerce avantageux, &c. Je lui montrai .des cartes à grande écheile
des pays qui lui étoient connus; il en parut émerveillé, et me dit que,
puisque telle étoit ma mission, il viendroit me rendre visite à Rawak
avec un de ses frères; mais qu’avant de me cj-uitter, il vouloit me laisser
un écrit, pour montrer à tous ceux qui ie broient que j’étois son ami.
S’étant alors emparé d’une plume et d’une feuiile de papier, il y traça
divers caractères, dont voici le fac simile;
C ’est une sorte d’acte qui constate les
présens mutuels que nous nous sommes
faits.
J ’ai eu beaucoup de peine à iire cette
écriture, sensiblement différente de celie
qui s’emploie dans les livres maiais, dans
ceux du moins qui sont imprimés avec
des caractères dérivés de i’arabe. On rencontre
en effet ici tout le vague propre aux
écritures cursives, et nous devons, sans
doute, nous applaudir que la négligence
des formes n’y ait pas été poussée au point
où on le remarque si souvent en Europe.
Les lignes de cette pièce ont été tracées
du haut en bas, de gauche à droite (i),
au lieu d’aller de droite à gauche, dans
le sens horizontal, comme le font les Arabes;
en un mot, dans la disposition ott je
les présente.
M. Coquebert de Montbret fils, plus
versé que moi dans ces sortes de matières,
a eu l’extrême bonté, et je puis ajouter
la patience, de m'aider à décliiffrer ce
manuscrit. Une autre difficulté étoit d’en
interpréter ie sens; et ce n’est qu’après bien des tâtonnemens que nous
( i ) R em a rquon s, en passant, que les C h in ois écrivent aussi du haut en b as ; mais leurs
lignes se succèdent de droite à grtuchc.
D e T im o r
à R aw a k .