
22 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
1818. un fourneau, pour faire du charbon de bois, fut construit, et l’eau néces-
Dé cem b re . . y . . , t y rv ,, , ^ saire a notre provision de mer embarquee, &c.
lie s des Papous. a i
Le 22 , nous reçûmes la visite d’un grand nombre d’indigènes, parmi
lesquels se trouvoit notre ami Srouane. J ’étois occupé à observer le pendule,
lorsqu’il m’aborda : surpris peut-être que je ne quittasse pas tout
pour ie recevoir; plus surpris vraisemblablement de l’attention minutieuse
avec laquelle je regardois osciller une petite machine dont le mouvement
étoit à peine perceptible, ii ne put résister à sa curiosité, et me
demanda ce que je faisois. Cette question étoit fort naturelle, et plus
-tard elle m’a été faite encore par d’autres chefs de ces contrées : mais
que pouvois-je y répondre! comment leur dire que je mesurois la terre!
Ne m’eussent-iis pas pris pour un insensé !
Jusqu’au 2 5 , les Papous avec lesquels nous avions communiqué,
nous avoient paru intelligens et spirituels ; mais aucun n’égaioit, sous ce
double rapport, Moro, chef d’une des îles Ayou (pl. 3Ô), qui vint à notre
observatoire. Il parloit le maiais avec facilité, nous adressoit mille questions
, et vouloit une explication de tout ce qu’ii voyoit parmi nous d’extraordinaire.
Il me demanda avec instance un thermomètre : je ne sais
s’il en comprit bien l’usage ; mais il en parla iong-temps à ses compagnons,
et l’on eût dit qu’il leur en expliquoit l’utilité.
Moro étoit nu , ne portant qu’un simple langouti en écorce de figuier ;
il étoit trapu, et avoit une immense chevelure comme tous ses compatriotes.
D’un caractère v if et gai, nous flattant avec beaucoup d’adresse
lorsqu’il vouloit obtenir quelque chose, il me fit entendre que, pour
rester à ma société, il lui yalloit un costume plus décent que le sien;
en conséquence, il obtint insensiblement un pantalon , puis une chemise
, puis un mouchoir pour décorer sa tête, &c. Fier de son nouveau
costume , ii partit pour ia baie de Kabaréi, sans doute afin d’y aller
étaler sa hraverie.
Le lendemain il revint à bord de bonne heure, avec deux tortues , qu’il
me vendit. Dès-lors il s’établit notre commensal habituel, au point qu'il
couchoit même à bord. Il étudioit et imitoit nos manières avec une facilité
et une aisance qui nous surprirent; à table il se servoit du couteau
et de la fourchette aussi bien que nous. Il est vrai qu’à travers cette
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 23
sociabilité improvisée ii perçoit de temps à autre quelques traits de sim- j^^mbre
piicité native ; mais, sur notre remarque, il étoit ie premier à en rire, et
de bon coeur. Une fois, ii imagina de renverser en entier ia poivrière dans
le creux de sa main, et d’en avaler d’un seul coup tout le poivre : je crus
qu’il alloit étouffer; bien loin de là, il ne fit que se récrier sur i’excelience
d’un tel régal; bagous, bagous [bon, bon], répétoit-il. Il regardoit avec
tant de satisfaction tout ce qui étoit sur la table, que, pour le contenter, je
consentis à lui laisser prendre le verre, la bouteille, 1 assiette, & c ., dont
il s’étoit servi. Sa joie fut au comble quand je lui eus donné un petit panier
pour emballer toutes ces richesses. Ii me témoigna sa reconnoissance par ie
don de plusieurs perles et du pius bel oiseau de paradis que j’aie rapporté
de ces contrées. II ne s’en tint pas là, et nous rendit de signalés services.
Comme nous étions entourés continuellement d’une multitude de pirogues,
il s’établit notre officier de police et notre courtier général. Il
faisoit nos marchés avec ses compatriotes : c’étoit toujours à notre bénéfice;
il est vrai qu’ii y trouvoit aussi son compte. S i , par exemple, nous
consentions à donner neuf couteaux pour une certaine quantité de denrées ,
il me disoit que c’étoit assez de cinq, mais n’en livroit que quatre au
vendeur, ce qui paroissoit le satisfaire, et gardoit le cinquième pour iui.
Il s’attacha à me démontrer que cette manière d’agir ne m’étoit pas désavantageuse
; j’en convins volontiers, en riant de son industrie.
Un canot que j ’avois envoyé porter une très - grande partie de mon
linge à notre aiguade fut chaviré, jeté à la côte, et le linge perdu dans
les brisans. Je fus prévenu de cette fâcheuse circonstance par deux des
canotiers , qu’une pirogue de Papous ramena bénévolement à bord ; mais
n’ayant en ce moment aucune embarcation pour envoyer des secours
aux naufragés, je fis part de ma perplexité à Moro. D’autorité, il appela
une des pirogues qui nous entouroient, y fit embarquer ia personne que
j’avois désignée pour porter des vivres à mes canotiers, et intima i’ordre
de se rendre au iieu du naufrage, ce qui fut ponctuellement exécuté.
Heureusement personne n’avoit péri; et le charpentier ayant jugé le
canot réparable, la chaloupe le ramena plus tard à bord.
Nous avions tous les matins autour de nous un marché assez bien approvisionné
; il nous offroit une grande variété de poissons, des tortues,