
Iles Mariannes. fut écarté par ses compatriotes, à cause de son infirmité; mais il s’irrita
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Avril.
de cette exclusion, qu’il regardoit comme une injure : enfin, prenant son
parti, il se mit à danser seul de la manière la plus gaie , et à se trémousser
si fort qu’il excita un rire universel.
Je desirois beaucoup aussi connoître les danses des anciens Mariannais;
D. Médinilia ayant tout fait préparer pour satisfaire mon désir, nous
pûmes jouir de cette représentation curieuse, dont il sera rendu compte
dans im autre chapitre.
Il étoit intéressant, pour ia perfection des recherches que nous voulions
faire sur les Mariannes, d’explorer les deux îles de cet archipel qui ont
ie plus d’importance après Goam, savoir , Rota et Tinian. M. ie gouverneur
voulut bien m’autoriser à y envoyer quelques observateurs ; et pensant
qu’il seroit doublement curieux pour eux de faire ce petit voyage
à bord des pirogues carolinoises, il engagea leur premier pilote à ies y
conduire, ce qui fut accepté gaiement par ces bons insulaires, et par
nous avec autant de joie que de reconnoissance. Je chargeai MM. Bérard,
Gaudichaud et Arago de cette mission, qui, commencée le 22 avril,
dura onze jours. Elle produisit une abondante récolte de faits : nous consignerons
dans le paragraphe suivant la relation qu’en a donnée M. Bérard.
Déjà, dans ia nuit du i 2 au 13 avril, nous avions éprouvé une légère
secousse de tremblement de terre qui ne dura pas deux secondes, mais
fut accompagnée d’un sifflement sourd. Le 2 5 , dans la journée, une
secousse un peu plus forte se fit sentir.
Trois nouveiles pirogues de l’île Lamoursek, après avoir touché à
Rota, abordèrent le 29 à Goam ; les hommes qui les montoient s’empressèrent
de rendre visite au gouverneur, et lui annoncèrent qu’ils étoient
chargés par leur roi de lui offrir en cadeau une assez grande quantité
d’étoffes d’abaca, des vases vernis, des coifi'es, des coquilies et des cordes
de diverses grosseurs, objets cjni lui furent remis ie lendemain, et dont
il voulut bien me gratifier à son tour.
Le 30 , au soir, M. le gouverneur, et quelques-uns d’entre nous, fîmes
une promenade au village de Mongmon, situé dans le voisinage sur un
sol fertile mais peu cultivé. Plusieurs habitans que nous rencontrâmes
sur la route, revenoient à la ville avec des paquets d’une espèce d’igname.
et du bois à brûler : c’est ainsi que tous les jours, ou au plus tous fes L e s M a r ia n n e ,
deux jours , ils vont chercher dans ies champs, presque sans autre labeur,
l’approvisionnement de leur famille.
Notre arrivée étonna grandement le gobernadorciUo ( i ) de Mongmon;
mais quand il reconnut D. Médinilia, il ne sut plus quelle conduite tenir
pour lui faire l’accueil et lui rendre les honneurs dus à son rang : toutefois ,
afin de commencer par quelque chose, il courut prendre la canne a
pomme d’or, marque de sa dignité, et vint le recevoir, n’épargnant ni politesses,
ni protestations de respect. Sa femme, quon apercevoit entre
les planches mal jointes de l’habitation, fumoit une cigarre au milieu
de ses enfans : tous nous regardoient avec une avide attention , et faisoient
leurs efforts pour se dérober eux-mêmes à nos yeux. Lanuit approchant,
nous allions reprendre la route d’Agagna, quand i’obligeant gobernador-
cillo et son fils offrirent de nous accompagner munis de flambeaux faits
avec des joncs desséchés; mais nous préférâmes suivre le bord de la mer,
et achever notre promenade en savourant ia plus agréabie fraîcheur.
Le I m a i , la Paz, dont les réparations étoient terminées, remit enfin
à la voile après un séjour d’un mois dans le port San-Luis.
Mes entretiens avec D. Médinilia me procurèrent un grand nombre de
notes intéressantes sur la colonie confiée à son administration paternelle.
Souvent, lorsque je lui adressois des questions relatives aux usages et
aux moeurs des anciens habitans de ces contrées, il merenvoyoit au major
D. Luis de Torrès, qui, né dans le pays, a pris ce sujet fécond pour
objet de ses constantes études. Possédant un jugement sûr, une mémoire
fidèle et le goût de l’observation, il s’est acquis en cette matière une
science d’autant pins précieuse qu’il se piaît à ia répandre. Son inépuisable
complaisance n’avoit d’égale que mon avidité à recueiliir ses réponses.
Nous fimes, le 4 mai, en très-nombreuse com.pagnie, une course au
joli village de Sinahagna, situé à moins d’une demi-lieue d Agagna : on
monte, pour y aller, sur une hauteur, d’où l’oeii embrasse avec délices
ia ville, le port et la campagne.
Les pirogues carolinoises se disposoient à retourner dans leurs îles ; le
Mai,
( I ) Première autorité du v illa g e ; sorte de maire.