
Ile s Mariannes, nobles, non-seulement de s’allier avec des filles mangatchangs, mais
D e l’homme encore de prendre des concubines parmi elles. On cite cependant des
en société. exemples d’infractions à cette règle : dans ce cas, le matoa qui s en rendoit
coupable, avoit bien soin de se cacher de sa famiile, qui, si elle l’eut
su, l’auroit puni de la peine capitale. A la vérité, ie délinquant, pour
éviter les poursuites, avolt l’alternative de renoncer à sa caste, et de
passer en qualité d’atchaot dans une autre peuplade. Il est assez remarquable,
au reste, que ia fille plébéienne ne recevoit aucune punition. On
nous a raconté que, depuis l’arrivée des Espagnols à Goam, un matoa du
village de Gnaton (voyez pl. 59, et le tableau p. 2 3 7 ) , étant devenu
amoureux d’une jeune et jolie mangatchang, s’enfuit avec elle, mais ne
put trouver asyie dans aucune autre peuplade , parce qu’il refusoit de se
détacher de sa compagne. Poursuivis par les parens du jeune homme,
ies deux amans errèrent pendant quelque temps au milieu des bois et
des rochers les pius inaccessibles. Une existence si précaire et si misérable
les réduisit au désespoir : résolus d’y mettre fin, iis construisent
une enceinte en pierre, où ils déposent l’enfant, triste fruit de leurs
amours; puis, égarés, éperdus , ils gravissent à la cime d’un roc élevé et
taillé à pic du côté de la mer; là, s’étant enchaînés l’un à l’autre en
nouant ensemble ieurs chevelures et se tenant embrassés, ils se précipitent
dans les flots. Ce cap a été nommé depuis, par les Espagnols,
cabo de los Amantes [ cap des Amans ] : on peut en voir la position sur
notre carte (pl. 59).
Avant ie mariage, la plus grande licence régnoit entre ies personnes
des deux sexes, et même il y avoit, dans les principales bourgades,
certaines maisons ouvertes pour favoriser leurs lubriques réunions : elles
portoient le nom de goma olitaos [maisons des célibataires]. Nous avons
dit quelques mots de ces honteux établissemens. A la différence des lieux
de prostitution que la politique tolère dans nos villes, et où n’habitent
que des femmes vouées au mépris public et qui ont dépouillé toute honte ,
les goma alitaos étoient hantées par de jeunes filles, sans qu’ii en rejaillît
aucun déshonneur ni sur elles, ni sur leurs parens : et, chose étrange!
dans un pays où les devoirs des époux et les degrés de parenté qui s’opposent
aux alliances étoient clairement définis, le frère pouvoit là ,
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 3 6 9
sans encourir aucun blâme, avoir un commerce charnel avec sa propre lie s Mariannes,
soeur. Souvent on avoit vu les pères vendre sans rougir les prémices de D e thomnre
leurs filles au jeune libertin qui vouloit y mettre le prix ; les mères elles-
mêmes engager leurs enfans à suivre i’impulsion de leurs sens et à
s’empresser d’aller sacrifier effrontément dans ces temples d’impudicité,
de même qu’en France on permettroit aux siens d’aller au concert ou à
une soirée chez d’honnêtes gens.
On possède encore une des chansons quelles chantoient à leurs filles
en pareille circonstance ; eile peint trop bien ies moeurs du peuple qui
nous occupe, pour que je ne la transcrive pas ici. J y joins une traduction
interlinéaire et quelques explications (i).
H o d jo n g akaga makanno !
So rs ma chère fille (p ou r) être mangée [p ou r que l’on profite de t o i ] !
S a pago naï am ( z )
P a rc e que maintenant ( si ) donner ( toi ) [s i tu te livres maintenant] . . . ( t u seras)
mannglii
savoureuse [ goûtée avec plaisir ].
S a g a in la -man a am daghi
P a rc e que lorsque ( i l sera) plus tard . . . ( ru se ra s ) frustrée dans ton attente
D ja am hago p a la n sapit.
E t . . . toi garder [ et tu auras ] ( du ) chagrin ( 3 ).
A-peu-près comme ies arre'oy de Taïti (4 ), les olitaos formoient,
( I ) Les mots placés entre parenthèses indiquent les idées qu’ il faut sous-entendre pour se
rapprocher de la syntaxe française ; ce qu’on a mis entre crochets développe la phrase ou portion
de phrase mariannaise, afin d’en éclaircir le sens.
( 2 ) (dm , signe de la seconde personne du futur, au singulier.
( 3 ) A la morale près, la traduction qui suit seroit plus dans le génie de notre langue :
Sors pendant tes beaux jours, sors, ma fille chérie!
Va maintenant chercher et donner le bonheur;
Plus tard, avec dédain, tu serois accueillie,
Et ce triste abandon feroit gémir ton coeur.
(4 ) « U n nombre très-considérable de T a ïtien s des deux sexes forment des sociétés singulières
où toutes les femmes sont communes à tous les hommes ; ce t arrangement met dans leurs
plaisirs une variété p e rpétuelle, dont ils ont tellement besoin , que le même homme et la même
femme n’habitent guère plus de deux ou trois jours ensemble.
1) C e s sociétés sont distinguées sous le nom A'arréoy; ceux qui en font partie ont des assemblées
auxquelles les autres insulaires n’assistent point ; les hommes s’y divertissent par des combats