
Iles Mariannes. cependant jamais de se rendre à l’église aux instans convenables pour y
Excursion
à K o ta
et '1 inian.
faire leurs prières. Lorsque l’un d’eux meurt, il est enveloppé dans une
natte et porté ainsi en terre, précédé par la croix , tandis qu’un habitant,
placé en arrière, chante les prières des morts. Il y a peu de pays au monde
où le manque de prêtres soit plus sensible aux femmes qu’ici : elles ne
peuvent se marier que lc»sque le curé d’Agagna vient faire sa tournée ,
chose bien rare aujourd’hui, où tout son temps ne suffit même pas aux
besoins de l’île où il réside ; aussi ies voit-on fréquemment s’exposer sur de
fragiles barques pour aller faire bénir leur union dans l’église d’Agagna,
ou y vaquer aux devoirs obligés de ia religion. Ces obstacles sont, en
outre, une source de désordres, qui altèrent ia pureté des moeurs. Quelques
personnes, pour qui la religion n’est point un frein, cherchent à se
soustraire au déshonneur en détruisant le fruit d’une union illicite. La
peine de la bastonnade et celle des travaux forcés, infligées à ce crime,
deviennent pour ainsi dire illusoires par la difficulté de convaincre les
coupables.
» Le 26 avril, à 7 heures du matin, nous quittâmes nos hôtes, et
partîmes pour Tinian, île très-voisine , et cependant nous emportâmes
une quantité aussi considérable de provisions que s’il se fût agi de faire
route vers Manille. Nous laissâmes au rivage quatre pros des Mariannes ,
les seuls qui nous eussent suivis.
» Dans cette traversée, nous eûmes un exemple de i’irréguiarité du
régime des Carolinois. L ’alcade, que nous venions de quitter, ieur avoit
donné un cochon rôti, une corbeille de galettes de maïs, i 50 fruits de
rima cuits au four, environ une cinquantaine de racines d’ignames et des
cocos en abondance : ils ne cessèrent de manger toute la journée, et quelquefois
se passoient les mains sur l’estomac et sur le ventre, comme s'ils
eussent voulu y tasser les alimens; enfin, avant le coucher du soleil, il
ne ieur restoit que quelques fruits de rima et les cocos ; encore leur avions-
nous donné deux volailles, deux pains, deux pastètjues , une douzaine
d’ignames et des oranges. Le lendemain, chacun d’eux ne mangea qu’un
coco; c’est, nous disoient-ils, ieur ration journalière pendant les traversées
de Gaam à Satahoual, et réciproquement. 11 est difficile de se faire une
idée d’une telle sobriété, après les avoir vus dévorer, ou plutôt engloutir
Excursion
à Kota
et T in ian .
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 16 1
une quantité si prodigieuse d’alimens. En général, iis s’inquiètent peu de lies Maria
l’avenir, et abusent de l’abondance éventuelle , persuadés qu’il sera toujours
temps de se réduire à la mince pitance d’un coco par jour.
» Nous louvoyâmes toute la journée du 26 avec une bonne brise et
une mer très-grosse. Le 27, à 5 heures du matin, nous aperçûmes
Agffligan, mais encore à grande distance, et peu après les terres de T i nian
et le pic de Saypan. A midi, je pus obiierver la latitude. Les courans
et les vents contraires ne nous permirent d’arriver au mouiliage de la seconde
de ces îles qu’à dix heures du soir. Nos barques furent halées à
terre vis-à-vis de la maison de l’alcade, qui, sur ies recommandations dont
nous étions porteurs, fit tous ses efforts pour nous être agréable.
» Le lendemain, les Carolinois remirent leurs barques à flot, et partirent
pour Saypan. Quant à nous, nous ne reposâmes que le temps
strictement nécessaire, pressés par un impatient désir de visiter l’île célèbre
sur laquelle nous avions abordé. Sa description, nos remarques sur
ia pêche, la chasse, l’agriculture et la fertilité du sol, les productions
qu’on y trouve , et sur ces ruines de piiiers antiques si admirables et
si étonnans , occupèrent tour à-tour notre attention. Ces détails seront
ciassés après ceux que nous avons recueillis sur l’île Rota.
» Le 3 0 , à deux heures du soir, les pros carolinois revinrent de
Saypan, où iis étoient alics visiter leurs compatriotes déjà fixés sur cette
île : ils amenoient avec eux le tamor ou chef de cette colonie naissante,
ainsi que sa femme, dont ia figure est très-agréable; le tamor lui-même
est un fort bel homme, admirablement tatoué. M. Arago , après avoir
dessiné la première, copia aussi ce tatouage magnifique (pl. 57).
» Nous abandonnâmes Tinian le même jour, à trois heures et demie
du soir, avec un nouveau passager, l’alcade D. Francisco de ia Cruz,
qui s’arracha aux larmes de sa famille pour aller à Goam revoir ses amis.
Nous vîmes sans regret fuir les plaines arides de cette île, qui, le premier
jour, nous rappela trop exactement le soi aifreux de la terre d’En-
dracht. II faut que les choses aient bien changé depuis le iord Anson, qui
s’y trouvoit comme dans un paradis terrestre, ou que notre manière de
voir et de sentir soit singulièrement opposée.
» Nous étions sous voiles, quand le soir, à 5 heures, un grain très-noir
Voyage de l'Uranie, — Historique. T . II. x