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lies Mariannes. tenant que votre secours m'est nécessaire; secourez-moi, si votre famille vous
De l’homme fut jamais chère! » et ces paroles étoient répétées pendant toute ia durée
en société. , , , , r r
du danger (i).
Lorsqu’un individu vouioit s’établir chez une peuplade autre que ia
sienne, il cherchoit ordinairement à se loger dans une maison abandonnée
par suite du décès de son propriétaire : mais le nouvei occupant
s’appliquoit, avant tout, à capter ia bienveillance des parens du défunt,
afin que, par leur intercession, i’ame de celui-ci ne lui fît aucun mai.
Les makahnas, espèce de sorciers fort en honneur dans le pays, et
dont nous avons déjà parié (p. 17 5 ), exerçoient parmi ieurs compatriotes
une sorte de sacerdoce. Ii y en avoit de deux classes : les uns ne
faisoient que du mai, et ceux-là étoient mangatchangs; d’autres, qui faisoient
du bien, appartenoient à la caste des nobies. Parmi ces derniers,
les uns procuroient de bonnes pêches , d’heureux voyages, la guérison
des maladies ; les autres rendoient ies champs fertiles , les récoites
abondantes , la température favorable, &c. &c. Les makahnas, pour
s’aider dans leurs prédictions, conservoient chez eux les crânes de ieurs
morts, et les tenoient renfermés dans des paniers. « Ils laissent tramer
« ces paniers par la maison, dit ie Gobien, sans s’en mettre en peine et
» sans y faire la moindre attention , à moins que quelque dupe ne vienne
» ies consulter.
» Quand quelqu’un meurt, on met une petite corbeille près de sa tête ,
» pour recueillir son esprit, et on ie conjure, puisqu’il quitte son corps ,
» de vouloir bien se placer dans cette corbeille pour y faire dorénavant
» sa demeure, ou du moins pour s’y reposer quand ii se donnera la peine
’• de venir ies voir. »
Cérémonies aux grandes époques de la vie : Mariages. — H sera question
ailleurs du mariage considéré comme contrat civil et temporaire : nous
retracerons seulement ici les formalités qui en précédoient ou accompa-
( i ) Platon pensoit que les ames des morts ont une certaine force, en vertu de laquelle
elles prennent toujours intérêt à ce qui se passe dans ce monde. « Cela est certain, ajoute-t-il,
»quoique la preuve exige de longs discours; mais il faut croire ces choses sur la foi des légis-
» latents et des traditions antiques, à moins qu’on n’ait perdu l’esprit. » ( Voyez Platon, de
Legihus, )
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gnoient la conciusion. Par-tout où des hommes sont réunis en corps de lies Mariannes,
nation, l’acte du mariage prend constamment un caractère de solennité: De i’homme
° ^ r r société.
cette importante institution, en effet, a moins pour but de favoriser ie
penchant naturel qui entraîne les deux sexes i’un vers i’autre, que de
conserver religieusement et de perpétuer les iiens de famille, moyen
puissant d’empêcher le désordre et la confusion de bouleverser ie pacte
social, et qui n’a pas échappé à ia conception des peuples même les
plus grossiers.
Aussitôt qu’une union étoit projetée, la mère du prétendu, ou à son
défaut sa grand’mère, ou enfin sa plus proche parente, après s’être munie
d’une boîte à bétel [salao] (i), se rendoit chez ia mère de ia personne
qu’il avoit en vue ; et ià , sans laisser ie temps qu’on iui présentât le bétel
d’usage, elle se hâtoit d’offidr ceiui qu’eiie avoit apporté avec eiie. Cette
manière de débuter faisoit tout de suite pressentir à la maîtresse de ia
maison qu’il aiioit être question de mariage; eiie ne iaissoit pas toutefois
de s’informer du motif de ia visite. C ’est votre fille, répondoit la médiatrice,
que je viens vous demander pour un tel. Dans ie cas où cette proposition
n’étoit point rebutée, on prenoit jour sur-ie-champ pour venir
chercher la réponse de la jeune personne. Si i’aïeuie existoit, la mère
s’empressoit de déclarer qu’eile ne pouvoit rien promettre sans son aveu,
et ii falloit aller renouveler à celle-ci les mêmes propositions, avec le
même cérémonial. En général, avant de donner une paroie positive, on
empioyoit tous ies prétextes dilatoires que la bienséance autorisoit, afin
que ia famille entière eût le temps de prendre des informations et de
réfléchir sur la convenance du parti qui se présentoit.
Au jour convenu, la parente chargée de l’entremise du mariage faisoit
une seconde visite. Si la fiiie s’étoit, dans l’intervalle, montrée favorable
aux voeux de l’homme qui la recherchoit, on en donnoit alors l’assurance
( i) Cette boîte contenoit des noix d’arek [po goa), des feuilles de bétel [popolodjon)
et ie petit coco [baba) où se mettoient ies pilules de chaux ordinairement jointes à ce masticatoire.
La grosseur de ces pilules étoit telle, qu’une seule suffisoit à chaque chique de bétel
[inainaon ]; car il eût été malhonnête de toucher la chaux que d’autres devoient mettre dans
leur bouche. Pour prévenir cet inconvénient, on faisoit les pilules de la dimension que nous
venons de dire; et après les avoir façonnées, on les passoit dans de ia poussière provenant
d’écales de coco réduites en charbon.