
Iles Mariannes. et Tinian renferment de curieux. Nous suivrons le journal de M. Bérard.
Excursion
à Rota
et T in ian .
« Ce fut, comme ii a été dit, le 22 avril dans ia matinée, que nous
appareillâmes du port d Agagna. La petite escadre étoit composée de
huit pros , trois que montoient ies habitans des Carolines, et cinq
autres appartenant aux Mariannes , qui, sortis ies premiers, se rangèrent
en ligne en serrant le vent : les nôtres vinrent ensuite, et nous ne tardâmes
pas à nous apercevoir qu’ils étoient beaucoup meilleurs voiliers;
cest même pour ce motif que M. le gouverneur nous y avoit fait embarquer
de préférence. M. Arago et moi nous étions surie pros qui avoit
pour pilote Ouamétaou, et M. Gaudich-aud sur le pius grand des deux
autres. A peine avoit-on mis en route que nous eûmes occasion de remarquer
l’adresse de nos insulaires à la nage et à la manoeuvre. Leur
casier ( i ) tombe à la mer; ils virent promptement de bord; un homme
plonge avec une corde; et dès qu’il s’est saisi de cette machine, il est
retiré avec force par ses compagnons, et arrive au pros après avoir eu
presque toujours la tête et ie corps au-dessous de l’eau : puis ia pirogue
reprend bien vite sa première marche. Ces diverses opérations s’exécutèrent
en peu de temps , avec une aisance et une précision qui annonçoient
beaucoup d’habitude.
” Nous tenions le plus près et filions quatre noeuds à l’heure; cependant
il n’y avoit personne au gouvernail; un seul homme, à l’écoute, ma-
noeuvroit la pirogue et serroit ie vent à cinq quarts, ia voile pleine. Les
mouvemens vifs et continuels du navire, ie peu de hauteur où nous étions
au-dessus du niveau de la mer, rendoient très-difficiles les observations astronomiques
; je tentai même inutilement d’avoir la latitude. La curiosité
de nos Carolinois fut excitée au plus haut degré à la vue de mon cercle à
réflexion; ils en parlèrent long-temps entre eux, et finirent par conclure
que j’étois le pilote de l'Uranie. Ouamétaou, beaucoup plus intelligent,
vit bien que je cherchois à observer le soleil au milieu de sa course, et
me demanda si mon instrument indiquoit cet instant-ià. Nous avions déjà
dépassé tous les autres pros; ia mer commençoit à grossir, et le vent
refusoit de plus en pius;-il fallut changer de bordée pour courir sur la
( j ) N a s s e , sorte de filet de pêche.
Excur s ion
i sHo ta
T i n i a n .
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 15 7
terre. Alors la flottille entière commença à louvoyer pour atteindre le lies Mar iannes ,
mouillage voisin, dans l’Ouest de Ritidian (pl. 59). Toutes nos bordées
furent favorables, et je crois que le plus près est l’allure qui convient le
mieux à l’espèce d’embarcation sur laquelle nous étions.
» Pendant ce temps, j’essayai de tirer quelques oiseaux, et fus assez
heureux pour en tuer quatre, ce qui mit nos Carolinois dans le plus
grand étonnement; iis regardoient mon fusil avec autant d’attention que
s’ils n’en eussent jamais vu à deux coups ; ils lui donnèrent le nom de pak,
et m’appelèrent moi-même , pendant le v o y a g e , Birar-pak. Dès que j’avois
tiré, on filoit l’écoute, un homme se jetoit à la nage avec une corde à la
main, et manoeuvroit comme nous l’avons déjà dit. Ils sont si habiles
nageurs, qu’il leur est presque indifférent d’avoir la tête entre deux eaux ou
hors de l’eau : la mer semble être leur élément, quoiqu’elle les menace de
fréquens dangers. Tout prêts à ramasser un oiseau, un requin se montra;
ils l’observèrent jusqu’à ce qu’il fût assez éloigné pour n’en avoir plus rien
à craindre; un d’eux alors se lança à l’eau et revint à bord comme à i’or-
dinaire, tandis que tous les autres rioient de joie de la bonne chasse que
je ieur abandonnois, et dont ils firent un grand régal.
» A trois heures, nous atteignîmes le mouillage avec ies autres pros
carolinois, qui furent tous retenus comme à l’ancre en dehors des récifs par
le procédé dont il a déjà été rendu compte : les barques mariannaises
nous rallièrent aussi ; mais s’étant rapprochées davantage du rivage, elles
se halèrent sur le plein.
.. Nous descendîmes à terre pour y passer la inilt; déjà, plusieurs de
nos gens s’y étoient rendus en nageant, et, après s’être fait un abri, avoient
épluché plus de cinquante cocos, allumé un grand feu, et se disposoient
à faire cuire ieurs oiseaux de mer. Pour cela, ils se contentèrent d’en
enlever les plus longues plumes , et, leur ayant passé un morceau de bois
par le bec, ils les tournèrent et retournèrent devant le feu, jusqu’à ce
qu’ils fussent entièrement cuits. Cette opération terminée, ils ies mangèrent
avec une grande voracité ; toutefois ils eurent préalablement la
politesse de nous en offrir. Nous passâmes la nuit dans la cabane d’un
certain Francisco, le seul bossu peut-être qui existe aux Mariannes.
» Le 2 3 , à la pointe du jour, le pilote mariannais nous annonça que