
Iles Mariannes. nom de kdîfi OU aniti [ mauvais esprit ] . Iis croyoient que si quelqu’un
De l’homme
en société.
eût renversé le pilier d’une maison, l’ame de celui qui l’avoit construite
ne manqueroit pas de venir invisiblement tirer vengeance d’une telle
action. Selon eux encore, le diable se tenoit parmi les vivans, et ne s’y
occupoit qu’à faire du mal. Les ames de ieurs ancêtres, au contraire , s’y
opposoient, et venoient même à leur secours dans le danger.
II y avoit des ames pius fortes que le démon, d’autres qui l’étoient
moins : les premières étoient celles des hommes vaillans et intrépides ;
les autres, celles des paresseux et des lâches. Les femmes avoient aussi
leurs ames ; mais il n’est pas sûr qu’on en accordât aux mangatchangs.
L’ame féminine étoit regardée comme moins forte et moins puissante
que celle de l’homme.
« Ces peuples, dit le Gobien, sont persuadés que les esprits re-
» viennent après ia mort : soit que ie démon les trompe en prenant la
» figure de leurs parens défunts, soit que leur imagination échauffée
>> ieur présente ce qu’ils entendent dire aux autres, il est certain qu’ils
» se plaignent d’être maltraités par des spectres qui les effraient queique-
” fois terriblement. C’est pour cela que quand iis ont recours à ieurs
» antis ( i ) , c’est-à-dire aux ames de ieurs morts, ce n’est pas tant pour
» en obtenir quelque grâce , que pour les empêcher de leur faire du
» mal. C ’est par la même raison qu’ils gardent un profond silence dans
» leurs pêches, et qu’iis font de longs jeûnes, de peur que ies antis ne
» les maltraitent ou ne les épouvantent la nuit dans ieurs songes, aux-
» quels ils ajoutent beaucoup de foi. »
La puissance qu’ils attribuoient aux antis est considérable. Ils leur
supposoient la faculté de changer i’ordre de ia nature, d’empêcher ia
pour secourir au besoin leur famille ; comment ces antis sont assez puissans pour commander
aux élémens, et assez foibles pour être retenus en enfer par une puissance qu’on ne
nomme même pas, &c. Je ne me permettrai pas de résoudre ces difficuités. Peut-être cependant
seroit-il exact d’admettre que les idées rapportées par le Gobien et par Muriilo, n’étoient
pas, sur tous les points, la croyance primitive des indigènes , mais celle que piusieurs d’entre
eux s’étoient formée, à une époque moins reculée, d’après ce qu’ils avoient vaguement ouï dire
des principes émis par les missionnaires à leurs néophytes. Les incohérences remarquées se
réduiroient à-peu-près alors à des erreurs chronologiques.
( i ) Le texte porte anitis , qui signifieroit diables, démons; or, le sens veut nettement
qu’il y ait ici antis [ ames des morts].
De i’homme
en société.
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 383
terre de produire et la mer de donner des poissons. Des maux horibles Iles Mariannes
se répandoient à leur gré parmi les hommes ; enfin il ieur étoit facile
de faire naître l’abondance et d’éloigner ies maladies.
«Tout ignorans qu’iis sont, continue le Gobien, ils ne croient pas
» que ie monde soit de toute éternité. Ils lui donnent un commence-
» ment, et iis racontent sur cela des fables assez mal concertées, qu’ils
» ont exprimées en méchans vers qu’ils chantent dans leurs assemblées.
» Iis disent que toutes les nations tirent leur origine d’une terre de
» Goam ; que le premier homme en fut formé ; qu’il fut ensuite changé
» en pierre, et que de cette pierre (i) sortirent tous ies autres hommes,
» qui allèrent s’établir en divers pays. . . ; que ces hommes, se trouvant
» bannis et éloignés de leur pays, oubiièrent bientôt leur langage et la
» manière de vivre de ieurs compatriotes. De ià vient, disent-ils, que
» ies autres peuples ne savent pas parler, et qu’ils ne nous entendent
» pas. S’ils articulent grossièrement quelques mots, ils ie font comme
» ies fous, sans s’entendre les uns les autres, et sans savoir ce qu’ils
» disent. »
Un fait digne de remarque, c’est ia crainte superstitieuse qu’excitoit
jadis, chez les Mariannais, i’apparition subite de l’oiseau carolinois nommé
otag. Compagnon né du mauvais temps , sa présence étoit généraiement
regardée comme du plus funeste augure. Tant de naufrages, en effet,
on t pu coïncider avec l’arrivée accidentelle de cet animai !
Culte. — On invoquoit les antis dans le danger et dans le besoin.
D’abord ia demande se faisoit à voix ordinaire, car ces insulaires croyoient
que, toujours occupées de leur bien-être, ies ames de leurs aïeux étoient à
côté d’eux: mais si, malgré cet appel , le danger continuoit, ils se mettoient
à crier d’abord modérément, puis de toutes leurs forces, pensant
que ces êtres tutélaires s’étoient éloignés momentanément pour porter
leur assistance ailleurs. Ces cris qu’on entend encore à la campagne, et
qui n’ont maintenant pour objet que de faire connoître sa position à des
compagnons de chasse, sont fort perçans. .¡Ho! ha! disoient-iis, N. ( le
nom ou les noms des parens dont ils invoquoient les ames ), c’est main-
( I ) C ’est le rocher de Fogna, dont il a été fait mention page 183 de ce volume.