
Iles Ca roline s. ceux mêmes qui sont piacés à l’écoute de la voiie ne manoeuvrent qu’avec
D e l’homme une main, afin de pouvoir gesticuier de l’autre. Dans de semblables circonstances,
en socicte.
il nous est arrivé quelquefois de les contrefaire; tous alors
s’arrêtoient pour rire aux éclats de notre maladresse, et nous rendoient
la pareille en faisant des signes de croix; puis, comme si de rien n’étoit,
ils reprenoient ieurs chants et leurs gestes. Malgré toute l’opiniâtreté
avec laquelle nous les avons pressés de nous expliquer le sens des paroles
qu’ils articuloient ; malgré le soin que nous avons mis à rechercher
l’objet de leurs pratiques singulières, nous n’avons pu parvenir ni à nous
faire bien entendre, ni à saisir parfaitement nous-mêmes ce qu’ils nous
répondoient. Seulement, après les plus vives instances, j’ai été assez
heureux pour obtenir qu’ils me dictassent une des prières qui, selon
eux, doivent infailliblement écarter le mauvais temps. Je la donne écrite
avec autant d’exactitude que notre alphabet ie permet :
Léga-chédégas légas cheldi,
L é g a - chédégas léga-chédégas légas cheldi;
L ég a - chédégas léga-chédégas' mottou,
Ogh eurenkenni chéri - péri -péi,
Ogheurenkcnni chéri-péri-péi,
» C’est en vain encore que pius tard nous avons fait de nouvelles
tentatives pour découvrir le sens de ces mots à l’aide d’un interprète ;
aucun insulaire n’a su l’expliquer : iis se bornoient à dire qu’ils en igno-
roient la signification ; que ces prières leur avoient été transmises par
ieurs ancêtres, et qu’aujourd’hui il n’y avoit parmi eux que de vieux
prêtres qui fussent en état de les entendre. Qu’on ne s’étonne pas de voir
ces hommes adresser au ciel des prières dont le sens leur est inconnu ;
c’est une coutume qui n’est pas rare chez des peuples plus civilisés. »
Ce rapprochement ne manque pas de justesse, et ramène l’esprit sur
une singularité dont il ne saisit d’abord que ie côté ridicule ( i ). Mais
l’homme qui récite une prière dont il ignore ie sens littéral, sait au
moins qu’elle renferme l’expression de ses voeux ; et d’ailleurs ne doit-on
( i ) ce Dans ies Pyrénées, seion M archan gy, les femmes, durant les cérémonies funèbres,
chantent des élégies rimées que personne ne comprend. » ( Tristan le Voyageur, t. V i . )
LIVRE III. — - D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t , i i j
pas croire que celui qui lit dans le coeur des hommes juge les intentions
plutôt que les paroles! Certainement, à nos yeux mêmes, il n’étoit pas
douteux que ces Carolinois desiroient d’échapper aux fureurs de l’orage,
et que, par l’émission de mots qu’on ieur avoit dit être efficaces, iis
avoient l’espoir d’obtenir i’assistance de l’être suprême, dont ils étoient
loin sans doute de connoître comme nous les attributs, défigurés par ieur
ignorance, mais non cependant rendus méconnoissables à l’observateur
attentif.
« Ils chantent presque tout le long du jour, dit encore M. Bérard:
au coucher du soieil, iis se rassemblent tous, et exécutent en choeur un
concert religieux d’une heure au moins de durée. A terre , les équipages
des pirogues ou pros font cette prière en commun. Dans tous ces
chants, il y a une quantité prodigieuse de voyelles ; \’a et i’o y sont, sans
comparaison, ie plus souvent répétés. »
A leurs croyances se mêle beaucoup de superstitions. Iis pensent, par
exemple, que, lorsqu’ils possèdent la queue d’une certaine raie dans
ieur pirogue, iis ne peuvent s’égarer en naviguant. Un vent contraire
les empêche-t-il de se diriger vers le point ori iis tendent, iis emploient
un instrument singulier [voyez pi. 58 , fig. 16 ) pour faire une
sorte de conjuration : cet instrument , nommé ossolifei, consiste en un
manche en bois au bout duquel est fixée, avec du mastic, l’extrémité d’ime
ou de deux queues de raie, et que décorent des feuiiies de latanier découpées
en rubans ; l’un d’entre eux agite dans l’air cette espèce de bâton
augurai pendant que i’équipage est en prière, et iis croient de la sorte se
rendre les éiémens plus favorables.
C ’est chez eux une opinion reçue, nous a-t-on dit, qu’une navigation
ne sauroit être heureuse s’il se trouvoit des bananes dans leur
barque. L’influence de ce fruit leur paroît même si funeste, qu’ils croi-
roient courir risque de mourir en chemin s’ils en mangeoient avant le départ.
Nous avons vu à Guam quelques Carolinois consulter le destin au
moment de partir, pour savoir quel temps ils auroient pendant la traversée.
« Cette cérémonie est très-compliquée, et ressemble assez à ce qui
s'e fait chez nous lorsqu’on tire ies cartes , excepté qu’on se sert ici des
folioles du cocotier arrangées de diverses manières. » [Ai. Quoy.)
Vojdgt Je l ’Uranie. — Histurique. T . II. p
D e l’homme
en société.