
les Mariannes.
Histoire.
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1670 .
17 4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
Jusque-là on n’avoit visité de l’archipel des Mariannes que les iles
comprises entre Goam et Saypan. Le P. Moralès fut envoyé pour explorer
les îles pius au Nord encore , et y répandre les semences de la religion : on
lui doit la découverte AAnataxan, Sarigaan, Alamagoan, Pagon et
Grigan. Dans le séjour de six mois qu’il fit sur ces îles, il baptisa 4 000 individus,
tant enfans qu’adultes. Son désir étoit de pousser plus avant ses
courses apostoliques ; mais le mauvais temps et ia petitesse de l’embarcation
qui le portoit le forcèrent à revenir.
Le P. Sanvitores partit à son tour, le i j u i l l e t , pour continuer une
entreprise si bien commencée. Il découvrit, ie 1 5 août, i’île connue
alors sous ie nom A Assonsong, et qu’il désigna sous celui A Assomption, qui
a prévalu; puis, deux jours après, les petites îies Mangs : il prit connoissance
aussi des îles reconnues déjà par le P. Moralès. A Anataxan,
Loi'enzo, un de ses catéchistes, qui avoit échappé au naufrage du navire
la Conception, étant éloigné de iu i, plusieurs habitans, exaspérés par la
déplorable opinion que ia mort d’un enfant qui, peu de jours auparavant,
avoit reçu le baptême, étoit ia conséquence de ce sacrement, se jetèrent
sur l’infortuné Espagnol au moment où il versoit pieusement i’eau salutaire
sur la tête d’une petite fille, le percèrent à coups de lances, et mutilèrent
son cadavre.
A Tinian, le P. Sanvitores trouva toute la population en rumeur; une
querelle entre deux chefs avoit fait prendre ies armes aux habitans : les
partis étoient en présence et ailoient en venir aux mains. Il s’empressa de
s’interposer entre eux ; et malgré une grêle de pierres qui lui furent jetées,
ii fit tant par ses prières , ses reproches et ses exhortations , qu’il parvint
enfin à les calmer. La reconnoissance que les naturels eurent de cette réconciliation
, et des efforts qu’il avoit faits pour i’opérer, lui fit obtenir, le
4 janvier 1670, la permission de construire à Tinian deux églises.
Le P. Médina retourna à Saypan, qu’il avoit visité d’une manière trop
superficielle lors de son premier voyage, et où il avoit encore à prêcher
quelques villages dont les habitans étoient fort prévenus contre les missionnaires.
C’est dans cette île, où Choco s’étoit établi et marié, que se
trouvoit sur-tout répandue son infâme doctrine; aussi cette tournée ne fut-
eiie pas heureuse. Assailli par des gens prévenus, le P. Médina, après avoir
Histoire.
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LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 175
fait des'efforts surnaturels pour apaiser ces barbares, tomba bientôt percé lie s Mariannes
de coups de lance et comme hérissé des traits qu’on lui avoit jetés; un
Philippinois qui étoit à côté de lui eut ie même sort. Les meurtriers,
étonnés du courage de ces victimes, permirent à leurs compagnons de
leur donner la sépulture.
A son retour à Goam , ie P. Sanvitores trouva les insuiaires dans ia
consternation. Une sécheresse obstinée calcinoit tous les produits de la
terre, et la famine paroissoit inévitable. Déjà les makahnas [sorciers], qui,
avant l’arrivée des missionnaires, tenoient les Mariannais dans 1 erreur,
voulant essayer de ressaisir leur autorité, leur rappeioient le culte des
antis[ï) [esprits], de ces mânes puissans de leurs ancêtres, quiaccordoientà
leurs prières des vents favorables, une pêche heureuse, une récolte abondante,
la guérison des maladies., et qui commandoient aux élémens. Ii
n’en falloit pas tant pour réveiller d’anciennes superstitions dans ie coeur des
Goamais; aussi en vit-on plusieurs se prosterner'avec toute la ferveur du
repentir devant les ossemens presque oubliés de leurs aieux. Témoin de
ce sacrilège égarement, le P. Sanvitores rassemble les infortunés habitans,
leur reproche ieur infidélité, les exhorte à revenir dans la bonne voie,
et parvient à les toucher.
Ces succès mettent en fureur les makahnas ; iis partent sans délai,
parcourent l’île dans tous ies sens, représentent à chacun que ies Ghi-
lagos (2) [Espagnols] ne cherchent à leur imposer une religion nouvelle
que pour se les attacher et ieur ravir ensuite ia liberté ; que s’ils ne se
hâtent de les renvoyer, les antis méprisés poursuivront avec colère leurs
enfans parjures; que les arbres seront sans fruits, les champs sans récoltés
et la mer sans poissons. A ces sinistres prédictions des makahnas
se joignirent les instigations à la révolte , fomentées par un chef nommé
Harao ; cet homme, plein d’adresse, avoit une grande autorité sur ie
peuple et parmi ses confrères, qui suivoient aveuglément ses conseils.
( I ) L e P . le G o b ie n , dans son H is t . des M a rian n e s , et le P . M uriilo V e la r d e , dans YH is -
toria de la P ro v in cia de F ilip in a s , disent aniti au lieu d’a iit i; mais le premier mot signifie diable
ou esprit malin, et il n’en est pas du tout question ici. N ous reviendrons sur cet objet, en traitant
de la religion des Mariannais.
( 2 ) G h ila g o , littéralement, homme venu de la m e r, étranger, e t , dans un sens re s tr ic tif,
mais sp éc ial, un Espagnol.