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anciens Mariannais, auxquelles elle se rattache. Ce fut avec beaucoup
d’intérêt que nous y vîmes préparer le cycas, dont ie fruit perd par la
macération ses qualités vénéneuses. La richesse et la fertilité du soi sont
telles, qu’avec peu de travail les habitans pourroient s’y procurer un
grand bien-être, une nourriture saine et salubre; mais la paresse les
subjugue. Il est vrai que l’abondance merveilleuse du fédérico et des racines
nutritives sur toute la surface de Gaarn, explique, si elle ne ia justifie
pas , cette extrême nonchalence.
De retour à notre petit camp, le dîner fut servi; il répondoit à la magnificence
ordinaire de notre hôte , et a 1 appétit que nous avoit donne ia
promenade. A peine étions-nous sortis de table, qu’une députation des
villages environnans vint rendre au gouverneur de rustiques hommages.
Chacun apportoit quelque présent: les uns des poules, les autres des
oeufs. A ia tête de ia troupe étoit un alcade se démenant fort : la musique
! ia musique! crioit-il à un méchant violon qui restoit en arrière,
lorsqu’un paysan qui portoit un cochon de lait, venant à faire un mouvement
, la pauvre bête répondit par ses cris à ceux de l’alcade. Les éclats
de rire de notre compagnie accueillirent cette plaisante coïncidence, et
déconcertèrent un moment les villageois. Le gouverneur les accueillit
avec bonté ; loin d’accepter leurs dons, il ieur donna au contraire quelques
piastres, et commanda qu’on leur servît les restes du festin. Pendant les
apprêts, iis se mirent à danser à leur manière, d’abord plusieurs ensemble
et en rond , en faisant mille contorsions et mille gestes, au son d’un air
assez lent; puis deux d’entre eux jouèrent une sorte d’intermède, qui
n’étoit qu’une improvisation chantée.
Nous remarquâmes dans la danse générale deux jeunes filles très-jolies,
d’environ i4 et 17 ans, toutes deux d’une timidité extrême : la plus
grande, ce qui nous surprit beaucoup, sur-tout dans une fille de couleur, rou-
gissoit dès qu’eiie s’apercevoir qu’on jetoit les yeux sur elle. Bientôt, à la vue
d’une grande natte étendue à terre et couverte de mets, ia danse cessa :
ces bonnes gens s’accroupirent à i’entour, et, sans nulle contrainte, se
livrèrent à leur appétit; iis burent sur-tout fort amplement; nous en
reconnûmes bientôt l’effet au caquet affilé d’une matrone qui auparavant
étoit tout-à-fait silencieuse.
LIVRE III. — De T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t , i 5 1
A p r è s le départ de ces hôtes, le gouverneur nous mena voir les pro- lies Mar iannes ,
cédés qu’on emploie pour extraire la sève des cocotiers, qui, suivant
différentes préparations, fournit de l’eau-de-vie, du vinaigre ou du sucre.
De là nous dirigeâmes nos pas vers le rivage pour assister à ia pêche
du magnahnk, petit poisson d’un goût exquis, dont ies Mariannais font
une prodigieuse consommation. A une époque fixe, le magnahak ne
manque pas d’arriver, et ies habitans se portent alors en foule au bord de
la mer pour y faire leur provision (pl. 63 ). Au nombre des pêcheurs
se trouvèrent les gens qui étoient venus complimenter D. Médinilia. Cherchant
des yeux nos deux jolies filles , nous les aperçûmes dans i’eau jusqu’à
la ceinture, occupées , comme les autres, à cette precieuse capture , elies
avoient ôté ieur chemisette, et se l’étoieiit nouée en cravate autour du
cou; ieur jupe relevée ne ies couvroit pas plus qu’un langouti, ce qui fos
laissoit presque nues : aussi, en sortant de l’eau, semblèrent-elles extrêmement
embarrassées de leur personne; mais le plus plaisant, c’est que,
tout en se hâtant de voiler leurs charmes, elles faisoient tout le contraire
de la Vénus pudique ,, et leur premier soin fut de se couvrir ie
dos ( i).
II étoit nuit close lorsque nous reprîmes la route d’Agagna, de ia même
manière que nous en étions partis : seulement, une pirogue alloit devant le
canot, portant de grosses torches allumées, pour que le pation évitât
plus aisément les récifs. A leur clarté, on distinguoit très-bien, et mieux
qu’en plein jour, le fond de la mer, et piusieurs d’entre nous s’amusèrent
à considérer, entre ies coraux, une grande quantité de poissons
de toute grosseur dans l’immobilité du sommeil.
Au milieu des distractions d’une journée si bien employée, rien ne
( i ) P ag e s , après avoi r rema rq u é que ies habi tans de Luçon , aux envi rons de M a n i l l e ,
la issent al le r leurs enfans presque nus ju squ’à l’àge de l o à i z a n s , témoigne sa surprise d e ce
que, dans un pays chaud, on ait cette négl igence po u r les filles, d o n t les chemiset tes n e d e s c e n d e n t
que jusqu’au n omb r i l , et r a co n te l’a n e c d o te suivante : « U n jour que je me p rome n o i s dans
un bois à u n e lieue d e M a n i l l e , ie hasard me fit approche r d’u n e maison d e v a n t laquelle je
trouva i une I n d ie n n e d’envi ron l o a à i i a n s , assi.se au g r an d sole i l; el le étoi t nu e et a c c ro u p ie ,
a y a n t sa chemise pliée auprès d’elle. Dès q u ’elle me v i t , elle se leva p r om p t em e n t , et la remi t :
qu o iq u ’elle ne fût pas v êtue d é c em m e n t , elle c royoi t êt re bie n mise , p a r c e qu’elle avoi t les
épaule s co uve r tes ; elle n’étoit plus embarrassée de p a roî t re d e v a n t m o i . » [Voyages autour du
monde et vers les deux p ô le s , t. 1.)