
Ile s Mariannes, viandes apprêtées de mille manières, enfin d’un très-bean diner. La collation
iSlÿ.
Mars.
qui l’avoit précédé se nomme refresco, et n’est destinée qu’à mettre
en appétit : c’est un ancien usage qui vient de Manille ou du Alexique ;
ii eût été bon de savoir cela d’avance.
Parmi les personnes avec qui nous dinâmes, se trouvoient des officiers
et des passagers du navire espagnol la Paz, mouillé, comme nous, en
rade d’Omata. Ce vaisseau, parti de Manille pour Acapulco, avoit été
obligé de relâcher à Goam par suite d’une voie d’eau qu’on s’occupoit alors
à réparer.
Tant de célérité avoit été mise à disposer le local destiné à nos malades,
que, dès le 19 , nous pûmes les y conduire, ce qu’on exécuta
avec toutes ies précautions que leur état exigeoit ; le nombre en alloit
à vingt, parmi lesquels étoient M. i’abbé de Quéien, notre aumônier, et
MM. Fabré, Ferrand et Dubaut, élèves de marine. Le premier fut installé
dans la maison du gouverneur, qui insista pour i’avoir chez iui et en
prendre un soin particulier.
Pour solenniser le départ du navire la Paz, fixé au 2 1 , et i’arrivée
de i Uranie, D. Médinilia nous réunit chez lui, ainsi que les principaux
fonctionnaires de i’ile ; nous étions en tout cinquante convives.
On servit : mais quel festin, bon Dieu ! ce seroit bien le cas de s’écrier
avec certains voyageurs :
T o i qui présides aux repas,
O muse! sois-moi favorable;
Décris avec nous tous ies plats
Qui parurent sur cette table.
Mais ia description seroit longue, car quelqu’un prétend avoir compté
quarante-quatre plats de viandes à chaque service, et il y en eut trois
complets. Le même observateur dit que ce diner coûta la vie à deux
boeufs et à trois gros porcs, sans parler du menu peuple des forêts, de la
basse-cour et de la mer. Depuis ies noces de Gamache, il ne s’étoit pas
vu, je pense, une telle tuerie. Notre hôte crut, sans doute, que des
gens qui avoient souffert long-temps ies privations d’un voyage maritime,
devoient être traités avec profusion. Le dessert n’offrit ni moins d’abondance,
ni moins de variété, et fit bientôt place au thé, au café, à la
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 139
crème, aux liqueurs de toute sorte; et comme ie refresco n’avoit pas l i e , Marianne*,
manqué d’être servi une heure auparavant, suivant l’usage , 011 conviendra
sans peine que là le plus intrépide gastronome eût eu seulement a regretter
l’insuffisante capacité de son estomac.
La fête du gouverneur, qu’on célébra le lendemain, nous rassembla
chez lui de nouveau infiocchi. Pendant chacune de ces réunions, on en-
tendott un orchestre nombreux composé sur-tout de basses et de violons;
de temps à autre, la symphonie étoit interrompue par les chants de jeunes
enfans dont la voix ne manqnojt pas de justesse. q
. Ces plaisirs et ces réunions fastueuses ne nous empêchoient pas de
songer à l’objet essentiel de notre mission : outre diverses courses dans
l’intérêt de l’histoire naturelle, plusieurs dessins furent faits; et quelques
instrumens ayant été descendus à terre, on s’occupa d’observations de
i’aiguille aimantée. La géographie détaillée du littoral de Gaam fut aussi
entï-eprise par M. Duperrey, grâce à la permission que le bon gouverneur
voulut bien nous en donner. A bord , on ne restoit pas oisif; on travaillott
principalement à compléter notre provision d’eau, qu’on trouve de
meilleure qualité et plus facilement à (Dmata qu’au port San-Luis : je
voulois aller y mouiller pour être plus près de la ville d’Agagna, capitale
de l’iie et siège habituel du gouvernement. Le choix de cette station
n’étoit pas chose Indifférente; il étoit facile de prévoir que le rétablissement
de nos malades nécessiterolt un plus iong séjour aux Mariannes que
dans nos autres relâches, et qu’étant auprès des premières autorités du
pays il me seroit plus facile d’obtenir ies renseignemens nécessaires pour
en avoir une connoissance intime. D. Médinilia m’avoit fait les offres, les
plus obligeantes ; et indépendamment du plaisir que j’espérois goûter à
la société d’un homme aussi aimable, mon expédition ne devoit avoir
qu’à gagner par les bons offices qu’il étoit disposé à nous rendre journellement
: la réalité surpassa nos espérances.
Le 23 . qui étoit le 22 à Goam ( 1 ) , la Paz remit à ia voile pour
( , ) Nous comptons lès jours pa r le nombre des révolutions diurnes du soleil : or, les E s pagnols
ayant fait route, pour venir aux Mariannes, de l’ E s t à l’O u e s t, c’est-à-dire, dans le
L i s même du progrès de cet a stre, ont dû compter une demi-revolution de moins sur 1 anti-
méridien au-delà duquel se trouve cette ile , tandis que nous, qui marchions en sens o p p o s e ,