
Excursion
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et T in ian .
formé à i’horizon , s’étant éievé tout-à-coup, nous donna une forte
pluie. Nos trois pros naviguoient très-près ies uns des autres ; et ce fut
pour nous une scène bien curieuse de voir nos compagnons faire leurs
prières à haute voix, et gesticuler tous ensemble. Le temps se remit assez
vite au beau.
» Sur les 8 heures , nous rencontrâmes les quatre pros mariannais que
nous avions laissés à Rota; probablement iis arrivèrent le lendemain à
Tinian, c’est-à-dire, pins de quatre jours après nous. Dans ia journée, nous
racontâmes aux Carolinois, au moyen des gestes et de quelques mots que
nous avions appris, l’arrivée d’un vaisseau sur une île habitée par des
anthropophages ; nous ieurs disions qu’un des matelots avoit été fait prisonnier,
tué et mangé par eux. Ils frémissoient d’horreur, s’expliquoient
les faits les uns aux autres, et détournoient la tête, comme s’ils n’eussent
pu supporter le récit d’une pareille atrocité. Leur figure, toute décomposée,
montroit à quel point ce bon peuple a horreur du crime. Aussi,
quand nous leur dîmes qu’enfin l’équipage du vaisseau avoit fait feu sur
ies sauvages et en avoit tué un grand nombre, ils applaudirent; et leur
front se déridant tout-à-fait, ils nous demandèrent si ces barbares avoient
tous perdu la vie.
» C’est ainsi que nous charmions ies ennuis d’une navigation fatigante,
et que nous occupions nos loisirs forcés à étudier un peuple intéressant,
et à en obtenir certaines particularités que les circonstances seules pouvoient
nous permettre de recueillir. Dans ce nombre sont les détails relatifs
à la manoeuvre de leurs pirogues, et à l’art de les diriger par l’observation
des astres, avec cette sagacité et cette précision dont nous avons
plus haut rendu compte.
» Le I mai, à ia pointe du jour, nous vîmes pour la deuxième fois
les plages de Rota, et y embarquâmes la collection d’histoire naturelle que
nous n’avions pas cru devoir transporter à Tinian : l’alcade D. Juan
de Rivera, pendant notre absence, i’avoit augmentée de piusieurs individus
curieux. Après l’avoir remercié, lui et sa famille, de l’accueil obligeant
qu’ils nous avoient fait, nous remîmes sous voiles à midi, et fûmes
de retour à Agagna le 2 mai de bonne heure, au milieu de nos amis, après
onze jours d’absence. »
CHAPITRE XXV.
Précis historique sur les îles Mariannes, antérieurement a 1820.
L’histoire des îles Mariannes se divise naturellement en trois périodes,
qui, liées par l’ordre des temps, présentent chacune un caractère qui lernest
propre.
La première comprend les événemens ecoules entre les années 15 21
et 1668. Tirées de leur isolement primitif, ces îles nous sont révélées,
pour ainsi dire, par une seconde création, qui les met en rapport avec un
univers nouveau pour elles. D’abord les liens qui les y rattachent sont
foibies et sans cessse interrompus : les vicissitudes de la navigation ,
l’inconstance des vents, quelques excursions aventureuses inspirées par
la curiosité, telles sont les seules causes qui de loin à loin contribuent à
en renouer ies fils. Peu à peu , ies relations, devenues plus multipliées,
se fortifient; relâcher aux Mariannes est bientôt une habitude et presque
un besoin pour ies vaisseaux venant ou allant du Mexique aux Philippines ;
de ià naît chez ies Espagnols le désir de conquérir ces îles à la religion ,
et de les soumettre exclusivement ensuite à leur empire.
Cette double conquête des Mariannes à la civilisation et à ia domination
espagnole, forme la deuxième période, qui s’étend de i 668 à i 699.
On y voit les insulaires déployer successivement tout ce quils ont de
force, d’héroïsme et de ruse, pour défendre leurs coutumes et ieur indépendance
: vingt fois abattus, vingt fois ils se relèvent ; mais enfin, décimés
par la guerre et par des maladies jusque-là inconnues parmi eux, ils cessent
d’opposer une résistance désormais inutile aux armes puissantes de i Européen
civilisé. Une émigration succède à tant de désastres ; et ceux qui
restent de ces tristes débris , arrachés pour la plupart à leurs cités et à leurs
îles natales, sont rassemblés à Goam, à Saypan et à Rota, et placés en
quelque sorte sous le canon des forts, garant de leur obéissance.
La troisième division, de 1699 jusqu’au départ àe l’Uranie, est l’histoire
des Mariannes sous la puissance espagnole. Le pius grand nombre