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Histoire,
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190 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
lies Mariannes- quelques amis, il tenta de se porter aux derniers excès contre le missionnaire
et ie futur époux : mais le gouverneur , de retour d’une
expédition, arriva à temps pour rétablir la tranquillité ; ies habitans
témoignoient même aux Espagnols des dispositions pacifiques, quand
un soldat qui s’étoit un peu écarté de ses camarades, ayant été tué par
quelques récalcitrans, le gouverneur en fut si courroucé qu’il fit pendre
aussitôt le père de la mariée. Ce châtiment irrita vivement les naturels:
Agaarin, l’un de leurs chefs les plus considérables, poussé par l’esprit
de vengeance , forma une ligue dans laquelle entrèrent les villages de
Talisay, Oroté , Samaye , Agofan , Fogna et Tépongan, et dont le but
étoit de massacrer les Espagnols, et de s’affranchir de leur joug.
Le 20 août, jour de S.‘ ' Rose, patrone de la paroisse de Tépongan,
ies conjurés se rendirent en grand nombre dans ce village ; on n’en
conçut d’abord aucune inquiétude , puisque les fêtes de ce genre atti-
roient toujours un concours considérable d’insulaires. Agoarin cependant
avoit recommandé à ses affidés d’agir avec beaucoup de dissimulation et
de prudence, et même d’assister avec un respect apparent aux exercices
religieux, jusqu’à ce qu’ils reçussent d’un chef aposté à cet effet ie signal
d’agir : craignant néanmoins que les Espagnols ne fussent trop nombreux
à Tépongan, il imagina de détacher quelques personnes pour aller incendier
l’église et les deux séminaires d’Hilahan (i). Ainsi qu’il l’avoit prévu,
la plupart des soldats de la garnison coururent au feu : croyant dès-iors
la forteresse d’Agagna abandonnée, il s’avança pour s’en rendre maître;
heureusement la ferme contenance du peu d’hommes qui y étoient restés
l’obligea de se retirer. Ces deux événemens donnèrent l’éveil au gouverneur,
et lui firent craindre que les Mariannais qui s’étoient réunis en
foule à Tépongan n’eussent des projets hostiles; il s’y rendit, en conséquence
, avec une escorte respectable : sa présence inopinée imposa aux
conjurés, sans leur faire abandonner leurs projets.
Peu de temps après, le P. Sebastian de Mauroy, et ies soldats qui ré-
( 1 ) L e Gobien dit Ay rnn et non pas H ila h a n , ce qui je pense est à tort. A u reste , par
le changement, qui est tamilier aux M a r ian n e s , de r en / , le premier de ces mots deviendroit
A y la n , et ne différeroit plus alors de l’autre que par une nuance de prononciation dont on
y voit de fréquens exemples.
Histoire.
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LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 19 1
sidoient avec lui au village de Somaye ( i ) , ayant été vivement assaillis Iles Mariannes,
par les barbares, cherchèrent, pour leur sûreté, à se replier sur Agagna :
la multitude les enveloppa au sortir de ce village ; mais, repoussée d’abord
par une décharge de mousqueterie, elle eut recours àia trahison. Chéref,
Mariannais puissant, qui s’étoit montré jusqu’alors dévoué aux Espagnols,
sort des rangs, adresse des reproches à ses compatriotes, et persuade au
missionnaire, avec de feintes démonstrations d’amitié, de se laisser conduire
par mer à Agagna : mais le perfide Goamois n’a pas plutôt reçu
dans sa pirogue le P. de Mauroy et ses sept compagnons, qu’il s’éloigne
un peu du rivage, fait chavirer sa barque, et armé d’un mousquet dont
il s’étoit emparé, cherche à assommer les malheureux Européens qui, ayant
leurs fusils et leur poudre mouillés, festoient absolument sans défense :
vainement tâchèrent-ils de sauver ieur vie en regagnant le rivage; de
nombreux insulaires qui s’y trouvoient les massacrèrent avec la dernière
barbarie (2); puis, afin que rien ne manquât à leur féroce triomphe,
ils retournèrent à Oroté en poussant des cris de victoire, et y détruisirent
i’église et les deux séminaires que ies missionnaires y avoient établis.
Agoarin et ses partisans s’empressèrent de répandre la nouvelle de cet
événement; il parcourut iui-même toute l’île pour exciter la population
à frapper le coup décisif. Plusieurs chefs cependant refusèrent de prendre
part à la révolte : mais nui ne se montra plus fidèle à la foi jurée que
D. Antonio Ayihi, qui, les armes à la main, empêcha les séditieux
de passer sur son territoire ; ce respectable Mariannais donna souvent
connoissance aux gouverneurs des mouvemens de ces hommes exaltés, et
fournit, autant qu’il fut en iui, des vivres à la garnison espagnole. Averti
qu Agoarin méditoitime attaque contre la forteresse d’Agagna, D. Irrisari
en fit réparer et consolider l’enceinte : cette mesure ralentit i’ardeur du
premier corps ennemi qui parut devant la place ; il attendit dans l’inaction
l’arrivée d’Agoarin, qui s’y montra en personne, le 15 octobre, avec son
armée. L’attaque commença par une grêle de pierres et de traits; mais
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( I ) Sur la presqu’île Oroté.
( 2 ) Les Espagnols plantèrent, peu de temps ap rè s , une croix au lieu de ce massacre; et
une forteresse ayant été bâtie plus tard sur le même théâ tre , on lui donna par ce m o tif le nom
de S a n ta -C ru z .
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