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Ile s Ca roline s. en reçurent des renseignemens détaillés sur la situation et ie nombre
Histoire. de leurs îles (i)> moeurs des habitans, la religion, le gouveiiie-
ment, &c (2). II n’en falloit pas tant pour exciter i’ardeur cies missionnaires.
Le P. Cantova entreprit de réaliser les projets qu’on avoit tapt
de fois conçus, et se mit en route, en 1722, avec les Carolinois dont
il vient d’être fait mention. Malgré de tels secours , ii chercha en vain
leurs îies natales, depuis le i i mai jusqu’au 6 juin,. et fut enfin forcé
de faire voile pour Manille sans en avoir trouvé aucune.
Revenu à Guam , il obtint encore, neuf ans après , la permission d’entreprendre
ce voyage, et partit d’Agagna (3), ie 1 1 février 1 7 3 1 , sur
un petit navire, ayant avec lui le P. Victor Walter, douze soldats, huit
mousses et un Carolinois naufragé, qu’on avoit baptisé à Guam six
ans auparavant. Plus favorisé cette fois , le P. Cantova parvint, le 2 mars ,
à Mogmog, d’où il passa à Falalep, la plus grande de_ toutes les îies
Égoy. 11 s’y établit, fut accueilli avec amitié par les naTurels, et commença
ses travaux apostoliques. Cependant il fallut se séparer du P. Walter,
ie compagnon de ses premiers succès, que pour son malheur il ne de-
volt plus revoir. Celui-ci fit voile de Falalep le 30 mai, dans i’espoir
de retourner aux Mariannes , d’où il rapporteroit les secours et les
provisions nécessaires à ia nouvelle mission : mai.s la contrariété des
vents l’ayant forcé de relâcher à Manille, il ne put, malgré son impatience,
remettre en mer que ie 12 novembre de l’année suivante, sur un
vaisseau qui alloit à Guam ; encore fut-il rudement éprouvé dans ce
voyage-, puisque le navire , en arrivant, échoua sur cette île au port de
Mérizo.
Opposant la constance la plus inébranlable à d’aussi constans revers ,
( I ) C ’est dans ces entretiens que fut tracée la célèbre carte des Carolines du P . C an to v a ,
publiée ensuite dans les Lettres édifiantes.
( 2 ) « L a chose n’étoit pas fa c ile , dit C a n to v a , car leur langage nous étoit tout-a -fa it
in con n u, et nous manquions d’ interprètes pour nous faire entendre ; c ep en d an t, comme
quelques-uns demeuraient dans notre maison , à force de les fréquenter et de les faire parler
sur des choses que je leur indiquois par s ign e s, en moins de deux mois je fus en état de
traduire en leur langue le Signe de la c ro ix , l’Oraison dom in ica le , le S ym b ole des apôtres,
les Commandemens de D ie u , et un Abrégé du christianisme. Ce s insulaires restèrent quatre
mois dans l’ île Guam. >> ( Lettres édifiantes. )
{ 3 ) V ille capitale des Mariannes.
LIVRE III. — D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e .m e n t . 83
le P. Walter retourna aux Philippines, pour y presser l’équipement d’un Iles C a ro lin e s,
autre navire qui , avec de nouveaux missionnaires, partit enfin de Manille Histoire,
pour les îies Égoy, monté par quarante-quatre hommes, tant matelots
que soldats. Faiaiep fut aperçu le 9 juin. Le P. Walter, inquiet du sort
des compagnons qu’il y avoit laissés, et cependant joyeux de l’espoir de
ies retrouver et de pouvoir leur apporter d’utiies secours, s’approcha de
l’îie à petite distance ; plusieurs coups de canon furent tirés ; mais , sinistre
augure ! aucun signal ne répondit au sien; pas un homme. Espagnol ou
Indien, ne parut sur la côte! On rangea ia terre de plus près encore, et
les plus tristes soupçons se confirmèrent ; ia croix, plantée pendant ia
première expédition, n’existoit plus; ie village voisin étoit en cendres; la
maison seule du bon père, et ie magasin de la mission, à demi ruinés,
iaissoient encore voir quelques vestiges qui avoient résisté à l’incendie.
Ces indices n’étoient que trop positifs; cependant on avoit de la peine à y
croire. Enfin quelques pirogues parurent portant des fruits, sans vouloir
cependant accoster le vaisseau : ceux qui les montoient, avec une crainte
et une inquiétude marquées, répondirent aux questions qu’on leur fit sur
ie P. Cantova et ses compagnons , qu’ils étoient passés à l’îie Yap. Un seul
d’entre eux se hasarda à venir à bord ; on l’y retint par force; et i’on sut de
lui que , dix jours après le départ du vaisseau , ie P. Cantova, a I instigation
du Carolinois Digal , qui lui servoit d’interprète, ayant été appelé
par les habitans de Mctgmog pour baptiser un adulte, ceux-ci le tuèrent
à coups de lance, ainsi que les deux soldats qui i’accompagnoient, sous
prétexte, disoient-ils , que les Espagnols vouloient changer leurs usages;
mais qu’effi'ayés ensuite de ce meurtre, ils lui donnèrent la sépulture
réservée aux chefs ; que lorsque ia nouvelle de ce désastre arriva à
Falalep , les insulaires assaillirent les Européens qui y restoient, et
qu’après une courageuse résistance, accablés par ie. nombre, iis finirent
par y être massacrés jusqu'au dernier. Ce récit enlevoit toute espèce
d’espoir ; cependant le P. Walter, dans l’impossibilité qu’il y avoit de
jeter l’ancre à Falalep, ne laissa pas de faire route vers i’île Yap. On
la chercha vainement pendant quatre jours , après lesquels le navire.se
dirigea vers Manille, où i! arriva le i 4 juillet 17 3 i.
Telle fut la dernière expédition régulière des Espagnols aux Caroiines;