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Mars.
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imprima une grande terreur à ceux d’entre eux qui les virent ; ii y en
eut un qui retourna même dans sa pirogue. Auroient-ils eu occasion
auî^ô'UrTJnnes. d’éprouver l’effet meurtrier de ces projectiles !
» Nous ieur donnions mille bagatelles , et ils acceptoient tout ce qu’on
leur offroit, mais ne prirent jamais rien d’eux-mêmes : ils mangeoient le biscuit
avec plaisir ; un d’eux crut qu’un morceau de tabac qu’on iui présenta
étoit également bon à manger , mais, 1 ayant mis dans sa bouche, il 1 eut
bientôt rejeté avec d’affreuses grimaces. Un autrese mit à danser [voy. pl. 5 4 ):
d’abord il préluda en courbant ie corps, étendant les bras, et faisant
vibrer légèrement ses mains; il paroissoit profondement occupe, et mar-
mottoit à voix basse quelques paroles; puis animant sa danse des mains,
il se frappoit le corps, et faisoit avec ies hanches mille contorsions, itn-
suite ils dansèrent à deux et à quatre; mais à deux ils nous firent plus de
plaisir, tant à cause de leur ensemble que parce quils s accompagnoient à
mi-voix d’une chanson fort mélodieuse. A la vue d un miroir, lun de ces insulaires
fut frappé d’une surprise extrême; ii jeta un cri d étonnement, et
parla à ses camarades avec vivacité. Ils parloient très-fort, et, sans être
absolument insupportables, ne iaissoient pas d’importuner. Leur caractère
est si léger, que ce ne fut qu’avec la pius grande peine que nous
pûmes obtenir quelques mots de ieur vocabulaire; un rien les distrayoit;
et quand nous pensions ie plus avoir fixé leur attention , au lieu de nous
répondre, iis se mettoient souvent à danser, ou bien iis nous tournoient
le dos pour s’occuper de toute autre chose que de notre demande.
■> Ces insulaires, si vigoureux, si aimables, si gais, et qui paroissent
en général fort sains , ne sont pourtant pas exempts de la lèpre ; deux
ou trois d’entre eux en étoient couverts. Un autre avoit un sarcocèle très-
considérable , qui paroissoit le gêner beaucoup : nous l’engageâmes à
monter à bord dans l’intention de l’observer ; mais ii ne le voulut pas,
et résista à l’offre ordinairement irrésistible d’un couteau. Un Carolinois
qui étoit à nos côtés , et qui avoit remarqué que nous cherchions à obtenir
par moyen d’échange tout ce qui nous paroissoit digne d attention , ne
pensa-t-il pas que nous voulions aussi troquer pour un couteau ce qui
faisoit l’infirmité de ce malheureux ; cette idée lui parut si plaisante, qii il
se prit à en rire aux larmes.
LIVRE III. — De T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 73
» Sur ces entrefaites, deux pirogues s’entre-cboquèrent; le balancier de
l’une fut soulevé, et elle chavira. Cet événement nous fit de la peine,
parce que nous présumâmes que ces insulaires avoient perdu ainsi tous
les objets qu’iis avoient reçus de nous ; quant à leur sûreté personnelle,
nous n’eûmes pas la moindre crainte, car iis sont exceliens nageurs.
Bientôt nous les vîmes placés sur la quille de ieur barque, occupés à
sauver ceux de leurs effets qui flottoient autour d’eux : ce fut avec
une adresse remarquable qu’ils retournèrent leur pirogue, ia vidèrent,
et y replacèrent le mât et la voile : bref, en une demi-heure, tout le
désastre fut réparé, et i’embarcation remise en route. II est vrai, et
nous le vîmes avec plaisir, que deux autres qui couroient sur
nous à force de voiles et de pagaies, et qui certes avoient grande envie
de nous atteindre, se détournèrent pour secourir leurs compagnons. ■>
( M. Quoy. )
Comme nous nous éloignions beaucoup de ces îles, le reste des C a rolinois
qui étoient à bord se décidèrent à nous quitter : iis partirent, en
nous laissant encore une assez bonne provision de poissons et de cocos ,
qui furent fort agréables à nos malades, auxquels on les distribua en
partie. Cependant la situation de nos malheureux compagnons ne s’amé-
lioroit pas, et c’est ie motif qui m’avoit empêché de m’arrêter pour étudier
avec plus de soin les îles que nous venions d’abandonner si rapidement.
Je fis donc continuer de courir vers les Mariannes, où devoit se trouver,
pour nous, le port du salut. Enfin, le 17 mars, dix-huit mois après
notre départ de France, nous aperçûmes ces îles tant desirées. Nous
étant approchés à petite distance de la côte orientale de Guam, nous
contournâmes cette île par le Sud, et arrivâmes promptement en vue du
mouillage d'Umata, qu’il nous fallut atteindre en louvoyant.
Apeine la petite îieDaneono, owaux Cocos (pl. 59), fut-elie dépassée,
que nous vîmes partir de terre une embarcation qui , portant paviliQii
espagnol, ne tarda pas à nous accoster. L’officier qui ia commandoit ,
envoyé par le gouverneur, devoit s’inionner de l’objet de notre mission,
et du but de notre relâche. Après l’avoir satisfait à cet égard, je lui fis
part de ia situation de mon équipage, ainsi que du besoin extrême que
nous avions de vivres frais. II partit, et fut peu de temps à reparoître;
Voyage de l'Uranie. — Historique. T . II.
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Mars.
D e R aw a k
aux Mariannes.