
2Ó VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
1818. grand, en arrivant à terre, de voir que les vingt cases ou maisons dont
Dé cembre .
Ile Boni.
le village de Boni se compose, venoient d’être à l’instant abandonnées,
et que les naturels s’étoient réfugiés dans les bois. Il fut évident alors
que ie but des retards apportés par Srouane, avoit été de faire prévenir ies
habitans du village, et de ieur donner, aux femmes sur-tout, le temps de
se cacher.
« Ce raja mit en quelque sorte à notre disposition tout le village désert
de Boni; ii nous en montra les maisons, à l’exception cependant d’une
seule que nous avons supposée être une espèce de temple. Elles sont
construites sur pilotis au-dessus de l’eau et au bord de la mer. M. Duperrey
intima à nos gens i’ordre de ne toucher à rien de ce que les habitans
avoient laissé, ce qui fut ponctuellement exécuté. Quant à
Srouane, après être demeuré quelque temps avec nous, avoir partagé
notre déjeûner, et bu du vin , qui lui parut excellent, il nous quitta pour
aller à la pêche.
« Dans l’impossibilité de communiquer avec les indigènes de cette île,
il fat décidé que, sans attendre ie retour du raja, on sortiroit par ia passe
qu’il nous avoit fait connoître : nous y réussîmes, non sans peine, et partîmes
aussitôt pour le fond dit havre, dans l’intention de visiter la rivière
qui servit autrefois d’aiguade à l’amiral d’Entrecasteaux. Elle est étroite,
sinueuse, et coule sur un lit de caiiloux; ses bords sont couverts d’arbres
d’une hauteur immense, formant un paysage et des ombrages charmans.
Le soleii, alors sur son déclin, laissoit régner autour de nous une douce
fraîcheur. Tout-à-coup trois oiseaux de paradis vinrent animer ce superbe
tableau ; l’un d’eux traversa la rivière en formant des ondulations avec sa
queue magnifique; arrivé au milieu du trajet, il s’éleva perpendiculairement,
sans doute pour saisir quelque proie, ce qui nous procura plus longtemps
le plaisir de le considérer. Je ie tirai ; mais la distance étoit trop
grande pour que je pusse l’atteindre; et une fois effrayés par le bruit de
nos armes, ces admirables oiseaux s’éloignèrent, et ne reparurent pius.
« Nous remontâmes le courartFpendant l’espace d’un mille; mais là,
notre canot, tirant trop d’eau, fut arrêté par un amas considérable de
galets, de schistes, de pétrosilex, &c., qui, encombrant le lit de cette
rivière, ia forçoient de faire un léger détour.
LIVRE III. — De T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 27
« Des deux côtés ses eaux débordent et donnent naissance à des marais
d’une étendue immense, où croissent une fouie d’arbres et de piantes.
Nous vîmes sur de petits îlots des cabanes en ruine qui paroissoient désertes
depuis long-temps, et quelques pirogues à I abandon. Falloit-il
attribuer cette dépopulation à l’insalubrité du lieu, ou aux ravages de
la guerre î
6. Ne voyant là aucun asile convenable, nous revînmes à notre gîte
de la veilie : il s’y trouvoit encore du feu, chose agréabie, même sous
l’équateur, car ies nuits y sont fraîches et excessivement humides. En
parcourant les environs , je vis des fouilles semblables aux boutis des
sangliers ; j’imagine qu’elles annonçoient le passage de cette espèce de
cochon sauvage assez commttne dans ces contrées ; peut-être encore
étoient-ce des traces de babi-roussas, animaux qu’il seroit peu surprenant
de trouver aussi sur Vaigiou. Je dormis mon fusil sous la tête; précaution
inutile, car je n’entendis rien de toute la nuit.
« Le lendemain , à la pointe du jour, on se remit en route pour retourner
à bord, et, malgré un temps assez peu favorable, nous y arrivâmes
à midi. »
Ces différentes courses, et les travaux habituels auxquels nous nous
livrions à notre observatoire, nous conduisirent jusqu’au i.*'’ janvier de
l’année 1819. J ’avois désiré passer ce jour en famille avec mon état-
major , quand l’arrivée d’une petite corocore de Guébé pensa faire évanouir
ce projet. Les tamtams, les tambours, se faisoient entendre avant
même que l’embarcation eût dépassé le cap de l’île Rawak, qui nous la
masquoit ; mais eiie ne tarda pas à entrer dans ia baie. Notre ami le k imalaha
nous tendoit les bras , et fut bientôt à bord avec neuf personnes
de sa famille , qu’il me présenta comme ses plus proches parens. L’un , en
effet, étoit son frère, et se nommoit Abas; c’étoit un vieillard d’une
soixantaine d’années ; il me dit avoir vu à Guébé , dans sa jeunesse ,
deux bâtimens portant, ainsi que ie mien, le pavillon français, lesquels
y étoient venus chercher des muscadiers ( i ), sous ie commandement de
M. de Coë'tivy, auquel il avoit procuré de ces arbres. C ’étoit un nouveau
( 1 ) Sonnera t a rendu compte de cette e x p é d itio n , qui eut lieu en 1 7 7 2 , sous le titre de
Voyage à la N o u v e lle -G u in é e , où il paroît c e rta în , d a illeu r s, que l’expédition n’a jamais
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I le Boni.
18 19 .
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