
1819.
Jan v ie r .
S é jo u r
à R aw ak .
motif pour que je l’accueillisse avec plaisir; aussi fis-je de mon mieux
pour iui montrer, ainsi qu’à tous les autres Guébéens, combien j’étois
charmé de leur visite. La trouvant cependant un peu intempestive, je
fis entendre au kapitan Guébé, qu’ayant à bord des occupations qui
exigeoient tout mon temps, je serois privé ce jour-là du plaisir de sa
société, mais que je comptois sur lui et sa famille pour diner avec moi
le jour suivant. Il ne parut point du tout choqué de mon compliment,
et partit gaiement, avec sa petite troupe, pour le village de Kabaréi,
où il me dit qu’il passeroit la nuit.
Le lendemain il ne manqua pas au rendez-vous ; et comme son intention
étoit de rester la journée toute entière avec moi, il me gratifia
de sa présence dès 9 heures du matin. Pour que la joie, sans doute, fût
complète, il avoit grossi son cortège d’A a s , chef de l’île Rawak (i),
ce qui faisoit, lui compris , dix personnes. Indépendamment d’Aas ,
d’Abdalaga Fourou , et de son frère Abas , on comptoit encore Ka-
mounë et Hannane, deux fils du kapitan Guébé, âgés de 28 à 30 ans,
sachant comme leur père lire et écrire le malais et l’arabe; Adjélinë,
son petit-fils, jeune homme d’une fort jolie figure, paroissant avoir
lô ou 17 ans; Atib Mnankabou, Këdatou et Yassinë, tous trois fils
d’Abas; enfin Bangat, fils d’Atib Mnankabou, enfant de 7 ans environ.
Il me fallut faire tête à tout ce monde; et certes la corvée, vu le genre
et la multiplicité de mes occupations, n’étoit pas fort facile.
La visite du kapitan Raouk avoit un but intéressé que je ne tardai pas
à connoître; ii espéroit obtenir de moi un dédommagement pour ies cocotiers
que j ’avois fait couper à Rawak, dans le voisinage de l’observatoire,
et derhandoit de plus que je lui payasse un droit d’ancrage. Je
refusai ce dernier point : ce droit, lui dis-je, n’étant imposé qu’aux navires
du commerce, et jamais aux bâtimens de guerre; quant à l’autre
partie de sa demande, je voulus bien entrer en accommodement, et je
lui fis , en conséquence, un cadeau qui parut le satisfaire. Ne voulant
touché; mais elle mouilla à G u é b é , que Sonnerat, par des raisons de politique sans doute,
affecte de ne pas nommer.
( i ) L ’ile R aw a k se nommant ici R a o u k , Aa s se faisoit appeler en conséquence kapitan
Raouk. ( Voyez son p o rtra it, fort ressemblant, sur la pi. 3 9 .)
LIVRE III. ■— D e T i m o r a u x M a r i a n n e s i n c l u s i v e m e n t . 2 9
probablement pas être en reste avec moi, il m’offrit à son tour quelques
oiseaux de paradis, dont aucun cependant n’étoit remarquable par sa
belle conservation.
Entre plusieurs documens que mes Guébéens me donnèrent, et que
j’ai réunis pour la plupart à ceux que j’avois précédemment obtenus, je
ne sais si je dois compter encore la traduction d’un madrigal de Bernis ( i ),
qu’Abdalaga s’amusa à me dicter dans son idiome, d’après une version
malaise que je iui présentai : ia voici, avec l’explication interlinéaire en
français, qui en fera suffisamment connoître le sens.
Biosso aouaï kali,
Amour enfant p e t it ,
Tatapi aouaï anim fouïni ;
M a is enfant de moi maître ;
la ê bê fouïni oto koiano été aïni;
L u i être maître du roi comme ( de F ) esclave ;
Fitchéo été aouya b ê ,
Beau comme vous être,
Ini fikir, été anim fikir ,
Avoir pensées, comme miennes pensées,
Tatapi iâê brankaii brani foloï (2).
M a is lui peut-être hardi davantage.
Enfin l’heure du dîner arriva. Je comptois principalement sur une
belle tortue que les Papous m’avoient apportée ia veille, et on i’avoit,
en conséquence, accommodée à toutes sauces. Mais, ô désappointement !
à peine nos Guébéens i’ont-ils aperçue, qu’ils se lèvent spontanément de
table, et s’enfuient tous sur le pont en poussant des cris d’horreur et
d’effroi. Je m’empresse auprès d’eux; je m’informe en quoi j’ai pu, ou
leur déplaire, ou les offenser; et j’apprends enfin, ce à quoi j’aurois bien
dû penser moi-même, que tout bon musulman doit s’abstenir de la chair
de tortue, non moins que du porc et de l’arack. Force fut donc de faire
enlever les mets impurs de ia table, et même de la saile à manger, poiir
que ces scrupuleux convives pussent se résoudre à y rentrer. Ignorant on
( I ) C e s vers furent adressés à une dame qui a vo it demandé à B e rn is , Qidest-ce que l ’amour ?
( 2 ) T o u s ces mots sont figurés ainsi qu’ ils se prononcent.
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