IV l'RÉFAC.K.
Pendant fort longtemps, les explorateurs de l'Asie Mineure n'ont
eu d'autre objet que d'y retrouver les traces de ce qui n'est plus.
Théâtre des plus grandes splendeurs et des plus accablantes adversités
, tour à tour berceau et cimetière des nations, des sciences et des
arts, cette région, unique dans son genre, a un passé tellement
gigantesque, qu'on a pu croire un moment qu'il n'a point laissé de
place ni au présent ni à l'avenir. Aussi, s'était-on contenté de s'adresser
presque exclusivement à ses tombeaux, plus splendides, en effet, que
les demeures royales de nos générations actuelles. 11 en est résulté, que
les oeuvres admirables de l'homme y ont fait oublier celles de la
nature, et l'on paraissait ignorer qu'à côté des ruines éloquentes, il y
avait d'autres monuments infiniment plus grandioses qui, eux aussi,
avaient leur langage, et qui n'attendaient pour élever leur voix, que
le moment où l'on vint les interroger1.
Malheureusement, ce n'est que depuis fort peu de temps que ce
silence a enfin été rompu et que les sciences exactes ont commencé à
diriger leur attention du côté de cette contrée, dont les trésors, sous
ce point de vue, ne sont pour ainsi dire qu'à peine entamés. Malgré
les heureux efforts de plusieurs de nos savants contemporains, qui,
comme Ainsworth, Baufort, Forbes, Fischer, Hamilton, Jaubert,
Kiepert, Koch, Moltké, Russegger, Schonborn, Sprat, Strickland,
Texier, Wrontchenko, Yincke, etc., ont ouvert cette nouvelle carrière
1 Les préoccupations paiement archéologiques dont l'Asie Mineure a été l'objet
pendant si longtemps ont eu un caractère tellement exclusif, que l'intérêt qu'inspiraient
les anciennes cités ne s'étendait pas à l'orographie et l'hydrographie de la
contrée où eues étaient situées. Tandis que nous possédons une foule d'ouvrages
sur les monuments antiques de cette région, les données que renferment les anciens
relativement à la configuration, aux montagnes, aux cours d'eau, a la flore et a la
fanue de l'Asie Mineure, n'ont encore été que très-imparfaitement recueillies, bien
qne les écrits des auteurs classiques ainsi que ceux du moyen âge, et surtout
des Byzantins, renferment beaucoup de renseignements tris-cuneux a cet égard,
comme i'espère de le démontrer dans les différentes parties de mon ouvrage. Pour
ne donner qu'un seul exemple de la direction éminemment exclusive que Ion
oeut reprocher meme aux études archéologiques de l'Asie Mineure, on pourrait
citer le célèbre ouvrage de Cellarius, intitulé : Notitta 0 0 anliqui, monument
vraiment remarquable d'érudition et de labeur. Or, tandis que toutes les notions
oue renferment les anciens sur les cités de l'Asie Mineure s'y trouvent soigneusement
réunies et discutées, la géographie physique de la contrée n'y est totéeqne
d'une manière tout à fait superficielle. Aussi pc.ut-on dire que cette partie de 1 archéologie
est encore à faire pour l'Asie Mineure, et c'est à cause de cela que j ai
donné daus mon ouvrage plus de développement à ce genre de recherches.
PRÉFACE. v
à la science moderne (si différente dans ses exigences de celle d'autrefois),
nous sommes bien loin encore de posséder seulement un tableau
général qui nous présente, dans un seul cadre, la réunion des traits
les plus saillants qui constituent la physionomie physique de cette contrée,
réunion qu'il, était même impossible d'opérer tant que la péninsule
renfermait de vastes régions qui n'avaient encore jamais été soumises
à un examen quelconque.
C'est ce tableau que j'ai essayé d'ébaucher en étudiant la contrée,
pendant près de quatre années, autant que pouvaient te permettre les
ressources restreintes d'un seul homme.
Je ne saurais trop insister sur cette dernière Circonstance, car en
jugeant les travaux de ce genre, il serait juste, peut-être, qu'on ne
perdit jamais de vue les moyens qui ont servi à les effectuer. Malheureusement,
le public ne peut entrer dans ces considérations; il n'apprécié
le plus souvent l'oeuvre que par elle-même:, sans se préoccuper
de savoir si elle a été péniblement accomplie par un seul individu, ou
bien si elle est le résultat des efforts réunis de plusiems savants, ou de
la puissante sollicitude d'un gouvernement.
Qu'il me soit donc permis de recommander cette considération à
l'attention des hommes du métier, mais particulièrement de ceux qui
ont travaillé dans l'Orient, où l'exploration superficielle d'un petit
¡district, exige souvent plus d'efforts et plus de temps, qu'il n'en faudrait
pour étudier à fond tout un grand royaume en Europe!
C'est devant de tels juges seulement que je fais valoir mes réserves,
en leur rappelant que ce que je livre à leur indulgent examen, est le
fruit d'un labeur solitaire, complètement dénué de tout ce qui, dans
l'état actuel de la science, peut assurer les chances de succès dans une
semblable entreprise. Cumulant les nombreuses attributions auxquelles
se rattache l'étude des faits divers consignés dans mon ouvrage, je
n'ai jamais joui, sur le vaste théâtre de mes travaux, de la moindre
coopération ou assistance quelconques, pas même de celle d'un collecteur
d'objets d'histoire naturelle ou d'un interprète.
Un domestique français ne parlant que sa langue, et qui finit par
succomber aux fatigues, un Tatar et mes conducteurs de chevaux,
composaient toute ma modeste expédition ; elle n'avait d'autre appui
que mes propres ressources ; la protection que le gouvernement turc
ne refuse jamais à aucun étranger, était la seule dont j'eusse jamais