Il PBÉFACE.
ce premier pas est fait, le public est naturellement devenu plus exigeant,
et des explorations à la façon de Marco Paolo , de Plan Carpin, de
Rubruquis, etc., ne peuvent plus avoir de l'importance, qu'autant
qu'elles abordent des questions qui, dans certaines parties du continent
asiatique, sont en ce moment, encore tout aussi inaccessibles (du moins
pour l'explorateur isolé) qu'elles l'étaient à l'époque de ces hardis
pèlerins.
Ainsi,, on ne se contenterait pîtts aujourd'hui- d'apprendre encore
une fois après eux,, que telle contrée de l'intérieur de l'Asie a des
montagnes, des fleuves et des villes, ou qu'il y fait très-froid ou trèschaud,
mais on voudra voir exprimer ces données sur une carte levée
à l'aide d'observations'astronomiques, et embrassant l'enBemble. d'un
pays distinctement délimité par la nature; dé mime om nî acceptera
des renseignements sur la végétation, la faune et la constitution'géologique
de ces contrées, qu'autant qu'ils se trouveront formulés d'une
manière rigoureusement scientifique, qui permette de se rendre compte
des objets dont on parle,, et de les comparer à ceux qui ont été constat
tés ailleurs.
Pour faire des études de-cette nature, il faut arvanttout pouvoir y
consacrer un tempe plus ou moins considérable, et asoirla possibilité
de les effectuer à l'aide de procédés scientifiques usités aujourd'hui.
C'est, le seul mode d'exploration qui, dans l'état- actuel, des sciences,
et avec l'esprit éminemment pratique de notre siècle , puisse être,
applicable à l'Asie. Les rapsodies, lès compilationsi et: les observations
à vol d'oiseau ont fait leur temps, et d'ailfcjreonti déjà;fourni tout!ce
qufon pouvait-en-attendre. L'Europe ne voit désormais dans, le grand
monde asiatique-que deux catégories de régions, savoir : celles qui ne
sont pas encore mûres, pour une exploration qui puisse la contenter-, et
celles pour lesquelles l'heure de la conquête, a déjà sonné, et que le
panthéon, de, la science est prêt à recevoir dans son enceinte, et à enregistrer
dans ses cadres j,sinon comme une acquisition immuable et parfaitement
définie, mai*du moins comme une première prise de poeses~
sion, basée sur des titres positifs,, ifflfreseriptibles, et qui ne peuvent
que se développer et se consolider asiec le temps.
Parmi les centrées qui figurent dans cette seconde catégorie, liempire
Ottoman joue leirôle te plus importact,; car, gnâte aiu» progrès d'une
réforme salutaire, qui ont placé, la Sublioae-Porte à la. tête du monde
PRÉFACE. in
asiatique., cet empire est le seul qui soit vraiment ouvert aux missionnaires
dç la science.; ce.n'esj, que là qu'ayec plus, oji moins de succès,
ils. peuyent.réaliser les,conditions auxquelles il est permis aujourd'hui
de satisfaire, aux rigojireuses exigences de notre sièdç, en donnant
non, plus, des notions détachées,, mais, un tableau général de l'état
physique de tojite unç contrée, tableau qui seul peut, servir de base, à
la spjuüon d'une foule de questions., dont la connaissance, est indispensable
non-seulement aux savants, de profession, mais encore aux
hommes, d'État, en leur fournissant des élémen ts positifs, sans lesquels
ils ne pourront jamais raisojxner ou agir ayec connaissance de cause.
Plus l'explorateur s'éloigne de l'enceinte de l'empire Ottoman, plus
il est forcément relégué, dans la voie de simples constructeurs d'itinéraires,,
de, collecteurs ou de touristes, à, moins de se trouver favorisé,
par une entreprise faite sur une grande échelle, sous le patronage d'un
gouvernement
Or, au milieu des magnifiques provinces, qui comppspnt cet empire,
aucune ne réunit, comirie l'Asie Mineure, autant d'éléments d'attraction
et. d'intérêt- car, sans parler de l'importance, politique que
lui assigne son incomparable position, importance que l'onne pourra
d'ailleurs apprécier dans toute, son étendue, que lorsqu'elle aura été
analysée et déterminée par les ..sciences exactes, cettç région s'adresse,
non-seulement à toutes les branches des connaissances humaines, mais
aussi à toutes les facultés de l'esprit et de l'âme.
C'est cette universalité d'intérêt, et surtout- le prestige qu'elle exerce
sur l'imagination., qui expliquent en partie pourquoi cette contrée,
qui depuis des siècles déjà est l'objet de tant de doctes pèlerinages , se
présente encore, sous plus d'un rapport, comme une véritable terra
incognita.
1. L'exemple de plusieurs explorations récentes faites avec succès dans des contrées
placeos en dehors de l'empire Ottoman ne saurait atténuer la portée de notre
assertion, vu que la plupart de ces explorations ont été effectuées dans des régions
soumises soit à t'infLuèiiçe européenne, comme par exemple l'Hymalaya, les Indes,
l'île de Java, etc., soit à l'action indirecte de l'empire Ottoman qui a pu servir ans
explorateurs de point de départ, et leur fournir des éléments d'une assistance
morale et souvent matérielle ; car dans le monde asiatique, le Sultan, tend de plus
en plus à imprimer à ses protégés un certain caractère d'inviolabilité qui naturellement
est encore Lien loin dé réaliser l'auréole dont le léopard britannique entoure
partout ceux qui se trouvent placés sous son égide, talisman pour le moins
aussi puissant que le prestige qu'exerçait jadis le, titre sacré de Civis romanus.