
vant de moi un domestique pour me conduire à sa maison. On m’avait
prévenu de l’originalité de mon hôte ; mais elle surpassa mon attente. 11
est le premier Anglais que j ’aie vu, qui, séparé entièrement de toute société
européenne par l ’isolement du lieu qu’il habite, ne se gêne pas pour elle, et
s’affranchit de ses usages incommodes.
Sa maison est la plus grande que j ’aie visitée dans les montagnes. La moitié
en est occupée par une zenana sans doùte fort populeuse, à en juger par la
génitüre vraiment priamique qui en est issue ; il est probable aussi qu’il y
- a des femmes de toutes couleurs, car j ’ai vu des enfants de toutes les nuances.
Le maître de cette ménagerie paraît un triste sultan ; c’est un homme
de 4o ans à peine, mais usé par le climat, la guerre du Népaul et ses moeurs
orientales ; chétif, perclus de rhumatismes, soumis à une diète sévère, et pour
comble de misère, malade imaginaire sans doute, puisque sans avoir reçu
d’éducation médicale régulière, il s’est voué à l’étude et à la pratique de la
médecine,Il purge et fait vomir ses cinquante invalides, et les villageois d’alentour,
après qu’il a donné sès soins à sa nombreuse famille. Son ambition est
de demeurer et de mourir dans l’emploi qu’il occupe. Il a renoncé pour
jamais à l ’Europe, et l’idée d’aller seulement à Simla, passer 24 heures,
l’importune. Il y a 4 ans qu’il n’a bougé de Kotgurh.
Nonobstant la grosse et permanente infraction qu’il commet aux commandements
de la loi mosaïque, il parait se croire chrétien, non selon l’Eglise,
mais selon l’Évangile. 'Les Anglais ne tirent jamais à clair devant eux-
mêmes leur impiété, comme il est commun aux Français de le faire. Les
plus incrédules d’entre eux, lorsqu’on les pousse, trouvent bientôt une limite
où s’arrête leur irrébgion.
Le commandant de Kotgurh paraît extrêmement attaché à ses Gorkhas,
qu’il a disciplinés et longtemps instruits à Soubhatou, non sans bien des
taloches, dit-il. Mais l’extrême désir de devenir habiles dans leur métier,
faisait passer ses gens par-dessus les vivacités de leur instructeur, et ils ne
l’en aimaient pas moins. Au temps de la guerre, il avait fait avec quelques-
uns d’entre eux, contre la plupart des autres, de telles prouesses de bravoure
, qu’ils ne se croyaient pas déshonorés d’être frappés par lui. H Dans
l’armée de ligne , composée de gens des plaines, cette pratique est sans
exemple, de même que les sentiments qui la permettent, n’existent point
dans le soldat.
Les Gorkhas, q u i, après leur défaite, venaient demander du service aux
Anglais, ne craignaient pas de se vanter comme d’un titre à l’admission,
d avoir tue tel officier connu, à telle affaire, quelques mois ou quelques jours
auparavant; et, comme de raison, ces héros étaient préférés.
Lès duels, qui sont sans exemple dans 1 armée de ligne, où l ’assassinat est
la seule voie ouverte à la vengeance, Sans être communs parmi les Gorkhas, ne
sont pas rares. L agresseur est ordinairement un époux malheureux, et son
adversaire est son rival. Ils se battent avec le long coutelas qui fait partie de
leur costume national, et se tuent souvent. Si l’affaire se vide par quelques
blessures seulement, aucune rancune ne survit au combat. C’est là , certes,
un des traits les plus européens de leur caractère. La pratique du duel est
inconnue à tous les autres peuples de 1 Asie. Il faut avoir vécu parmi eux,
pour sentir sou utilité et connaître combien de crimes elle prévient parmi
nous.
Le régime de paix, que la crainte de l’intervention anglaise impose à tous
les petits États voisins du territoire de la Compagnie, doit détruire promptement
l’esprit militaire de ce peuple, qui se nourrissait et s’exaltait dans son
état de guerre perpétuelle avec les peuples montagnards d’alentour. Sa fierté
même devra ne point survivre à sa domination sur eux.
C’est ainsi que l’Angleterre a fait des highlanders écossais, dont les moeurs
jadis ressemblaient tant à celles des Gorkhas, aujourd’hui les plus paisibles et
les plus industrieux de ses citoyens.
Je vis aussi à Kotgurh l’un des frères Gérard, le capitaine Patrick Gérard, le
plus jeune de la famille. C’est celui qui accompagna Herbert en Kanawer, en
1819. Herbert, dans son récit de ce voyage, imprimé dans les Asiatick Resear-
ches, donne à croire qu’il passa le premier en Kanawer ; mais Alexandre Gérard
y avait été, et aussi loin que Shepkee, dès l’année précédente , accompagné de
son frère, le docteur James Gérard. Le récit inédit, quoique imprimé, de ce premier
voyage, auquel des excursions nouvelles dans les années suivantes lui
permirent de faire des additions notables, est même beaucoup plus intéressant
que le mémoire d’Herbert. Il y a quelque manque de bonne foi dans la réticence
d'Herbert.
G est de Kotgurh que je vis le Setludje pour la première fois. Il coule à
3 milles 1.) de distance environ, descendant de l’est à l’ouest. Le hameau
de Komarsen, où réside le Rana de ce nom, est situé à mi-côté sur la
pente des montagnes, entre le confluent de cette rivière avec le ruisseau qui
y tombe du col de Nagkundah.