
rangés chacun sur une double ligne; une nappe grossière posée à terre pour
toute l’assemblée, excepté pour le docteur amphitryon, qui avait la distinction
d’un coussin sous lui et d’une petite table devant. Le repas consistait en une
bouillie peu engageante de thé cuit avec de la farine et du ghui ; une autre
espèce de soupe avec de la viande dedans, et les galettes accoutumées, Jhj
routi, ou pain, comme on les appelle. On buvait de 1 eau; aussi y avait-il peu
de babil. Du reste, le plaisir d’une si triste clière paraissait savouré par les
convives, accoutumés à ne pas manger leur soûl de friandises moins recherchées.
Chacun se servait dans une écuelle de bois, et, comme à la gamelle, en
mesure. Après un petit nombre de bouchées, pause et musique ; les femmes
chantaient'à l’octave au-dessous des hommes. Repus à la fin, ils braillaient,
avec un air de béatitude. On eût juré entendre les vêpres.
La nature du breuvage rend décentes jusqu’à la fin ces réunions conviviales
des Lamas et des nonnes.
Le thé bouilli et assaisonné, comme je l'ai d it, de beurre et de sel, est 1 aliment
quotidien des riches de Ranawer; il vient de Lassa, enfermé dans des
peaux. Il est de l’espèce la plus commune, sans parfum, et coûte à Kanum
environ 3',5o à 4',oo les oB1°s-,5. Pour les pauvres gens, c’est un grand régal.
Le sucre est absolument inusité parmi les riches comme parmi les pauvres
de Ranawér. Ils ne fout non plus usage des épices de 1 Inde; mais ils emploient
les graines et les racines de plusieurs ombellifères, et les bulbes dune ou deux
espèces & A Ilium.
Kanum, par sa position assez centrale , par sa population et la richesse rela-
tive de quelques-uns de ses habitants, enfin par son temple, sa bibliothèque
thibétaine et son docteur dans les hautes sciences ( le pauvre Kahtchenn ne
comprend pas un mot des livres commis à sa garde) , est décidément la capitale
du Ranawer : Labrang n’en est qu’un quartier, et le fort qui le domine lui
donnait sans doute autrefois quelque importance militaire; son territoire est
bien caractéristique delà végétation de ce petit pays. Au reste,quelque courtes
que soient les distances horizontales d’une journée de marche à une autre dans
un pays si montagneux, à chaque marche nouvelle on observe un changement
sensible dans la végétation.
Le Néoza est ici dans toute sa vigueur. C’est un arbre de 6” à 8” de haut,
arrondi, peu fourni. Son tronc atteint généralement o", 4o à o", 45 de diametre ;
il est tortueux, verdâtre et se pèle constamment de son écorce, laquelle se
détache par petites plaques, exactement comme dans le Platane ; caractère que
je ne connais à aucune autre espèce de conifère. Il ne forme jamais de forêts
très-serrées, mais des bois clairs. Le Déodar est rabougri : son tronc atteint
encore jusqu’à im,5 à 2m,oo de diamètre à la base; mais i l décroît rapidement
et se divise en plusieurs tiges fourchues qui s élèvent peu. Le Pécher est
plus commun qu’ailleurs. Le Genévrier en arbre croît au-dessus du Cèdre
et du Néoza; et dans quelques quartiers des montagnes, au-dessus de lui,
on trouvé encore quelques Bouleaux. L '¿stragalus microphjllus abonde dans
les rudes gazons d’alentour, et avec lui quelques plantes que l’on ne trouve
pas au sud du Téti. C’est le commencement de la végétation des pentes
supérieures du Setludje, Poyé, Dabling-Doubling, Soungnum.
Z,e 21 septembre. — De Kanum a Lipe.— J ai suivi la meme route par où
je vins à Kanum il y a 2 mois, jusqu’à lespèce de col qui conduit sur les
pentes des montagnes qui bordent la rive droite du Téti. Là, je laissai le
sentier si rapide par où j ’étais monté, e t, cotoyant les montagnes, je descendis
doucement à Lipé, qui est à 3 milles ( | 1. ) environ au-dessus du sanga
de la route directe entre Zongui et Kanum.
Lipé est un assez grand village composé de deux hameaux contigus, à peine
élevés au- dessus du lit du Téti. Celui-ci reçoit sur sa rive gauche un faible
torrent à peu de distance au delà. Il ne manque pas de vignes, mais elles
sont, comme partout en Kanawer, excessivement négligées.
A 8 milles ( 2 { 1.) plus haut, est un autre village, le dernier de cette
vallée. Son élévation doit excéder 3,5oom, puisquil n y a ni Abricotiers, ni
Pommiers alentour, selon le rapport de mes gens. Aucun col, aucun passage
qui mène de là en Ladak. Parmi les plantes qui abondent dans cette
vallée et que je n’ai pas vues à K anum , je citerai le Centaurea setosa N.,
que je n’ai cessé de rencontrer depuis. Je n y retrouve pas de Celtis hyphas-
cos N. y arbre sans doute fort rare, puisque je ne l’ai aperçu qu’une fois.
Autour d’un temple abandonné , fleurit une Malvacée qui ne me paraît
différer aucunement de la Rose trémière : ses fleurs sont, simples et dun
pourpre foncé; sa hauteur d’un mètre au moins. Je lavais observée déjà dans
la vallée du Rouskalang, entre Soungnum et Poyé, à l’entour de Dôgris
désertes. Comme je ne l’ai vue dans aucun jardin, sa naturalité en ce pays peut
être du même genre que celle des autres Malvacées qui s y trouvent (deux
espèces de Malva, l’une très-voisine du Malva rotundifolia, 1 autre du Malva
sylvestris, si toutefois elles en diffèrent), lesquelles ne s’éloignent jamais des
lieux cultivés ou habités. C’est un type d’organisation végétale absolument
étranger aux zones froides, soit polaires, soit alpines.