
Quoi qu'il en soit, l’étroite ravine de Lagressou s’élargit, à une heure de
marche, au-dessous, en un vallon hien étroit, où descend par intervalles la
culture, confinée jusque-là à quelques échelons des montagnes où leur pente
s’arrête. Chaque champ est entouré d’un mur formé de l’empilement des
roches éparses ; les plus vastes ont une dizaine d ares de superficie ; on y
cultive de l’orge (Hordeum vulgare), et du b lé , qui ne semblent pas retardés
de plus de i 5 jours sur les moissons de Dehra. Le sentier praticable
aux Ghountes, moyennant que le cavalier mette pied à terre sans cesse,
serpente le long des pentes des montagnes et descend dans le vallon. A 2 heures
de marche au-dessus de Lagressou, deux autres vallons débouchent dans celui
ci, presque opposés l’un à l’autre; l un descendant du N. au S ., 1 autre
du S. au N.-Chacun d’eux a son torrent. Us entrent à angle droit dans la
vallée de l’Aglanr, qui, de Lagressou à Bouhànne, dévie peu de ÎO . à 1E .,
si ce n’est pour incliner vers l’E .S .E . Ce qu on appelle ici un village ( 3
ou 4 huttes délabrées), avec ses petits champs de blé du vert le plus tendre,
forme un joli point de vue sur le promontoire qui s’avance entre l'Aglaur
et son affluent d e là rive droite; il s’appelle Tatourah, Pl. X X V . L ’Aglaur,
dont la rive droite s’appuie en général aux escarpements des montagnes,
coule à plus de i 5o" au-dessous de lui.
L ’Aglaur est un véritable torrent qui tombe de roc en roc plutôt qu’d ne
coule. Lagressou est élevé au-dessus de son cours, de îà ÿ ” d’après les observations
du baromètre.
D’autres ravines moins considérables sillonnent les pentes des montagnes.
Chacune a son ruisseau , ou plutôt sa cascade. Une fraîcheur délicieuse règne
sous les ombrages que nourrit leur humidité. Quelques formes tropicales se
mêlent dans leurs bosquets aux types végétaux du nord et des montagnes.
Une espèce de Prunier, éblouissante par la profusion de ses fleurs de neige,
y fleurit à côté du Bauhinia purpurea, le seul de ce genre qui s aventure
au-dessus du Dhoun; le Grenadier, arbrisseau élancé, à peine épineux, de
6” à y“ de hauteur, un laurier, etc..-(voir m o n Catalogue),.: luttent d éclat par
leur feuillage. Une Épine-vinette (B . 588) remplit tous les vides de cette
fourrée; mais son plus bel ornement, c’est sans contredit un rosier, Posa
VjB. 533), médiocrement épineux, qui s’élève en gerbes de verdure jusqu à
6” et 7", et dont les fleurs blanches, rassemblées en larges corymbes, exhalent
un parfum délicieux. L ’atmosphère de la valléè en est littéralement parfumée.
Le Bauhinia purpurea est à peu près le seul arbre qui se montre hors de ces
ravines. On le voit d i s s é m i n é sur les pentes rapides des montagnes. Ses fleurs
sont ici d’un rose plus tendre que dans les plaines de l’Hindoustan, où
leur beauté le fait cultiver. Il en est couvert, mais il est presque entièrement
dépouillé de feuilles. Il se dessine d’une manière étrange sur la teinte jaunâtre
des gazons desséchés, Il m’a rappelé avec charme les coteaux d’Auteuil et
de Passy, à la fin de l’hiver, avec leur forêt de pêchers.
Les montagnes qui bordent la vallée ferment la vue : quand elle s’échappe
par quelque ravine, elle ne rencontre que des sommets d’une médiocre hauteur
(2000", 25oô", je suppose), les uns boisés, les autres herbeux. Ceux que
revêt une forêt grisâtre sont couverts de Pinus longifolia ; lés autres sont probablement
ombragés de l’association des arbres qu’on voit à Mossouri et à Landaor.
Le Pinus longifolia est le seul qui descend assez bas sur leurs’ pentes pour
que je le reconnaisse avec certitude. Comme la contrée est à peu près inhabitée
et inhabitable par le défaut de terre cultivable, si on ne le trouve pas plus bas,
ce n’est probablement pas que les hommes l’y aient détruit, mais parce-qu’il
préfère les stations plus élevées. Cependant il semble se plaire sur les collines
du Reyri-ghaut, dans une forêt d’ailleurs presque exclusivement tropicale.
J’avais ordonné de planter ma tente près du hameau de R y a r i, et confiant
dans l’intelligence du sergent Gorkha qui guide ma petite troupe, je n ’avais pris
nul ombrage de la direction du chemin, quoique j ’eusse marché constamment
à 1 Est, quelquefois même à l’E .S .E . , et que Rôti,* le lieu où je comptais
rejoindre le chemin ordinaire de Jumnoutri, fût au Nord. Je trouvai ma tente
tendue au sommet apparent de la vallée de l’Aglaur, élargie ici en une sorte
de cirque. Une chapelle hindoue et un grand Cèdre à moitié mort étaient les
seuls objets voisins. Je demandai où était R y a r i, et mon Gorkha, qui avait fait
un prisonnier de guerre Sur le chemin, me produisit un montagnard qui assura
que le village était tout près ; caché dans une gorge; mais il ne put dire
le nom du village. Je demandai celui du temple près duquel j ’étais campé; mais
il ne put rien m’apprendre, si ce n’est que c’était un temple. Mes gens, qui
n avaient rien trouvé à manger hier soir à Lagressou, étaient pressés d’aller à
la découverte. Les! soldats les accompagnèrent, et au bout d’une heurè mon
sergent revint avec un Brahmane,'le Zémindar du lieu, homme de bonne
mine, vraiment, pour un montagnard, et sans doute homme de lettres, car il
arriva avec sa plume de roseau fichée sur l’oreille : j ’appris de lui que j ’étais à
2 jours de marche de R y a ri, ayant cheminé depuis Lagressou dans une tout
autre direction, et ayant pris la route qui mène au bord du Gange et de là
a sa source , au lieu du sentier qui rejoint la route de Jumnoutri. L ’erreur
toutefois est réparable sans rétrograder, et mon Brahmane, qui ne dit pas deux
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