
heure de marche, je m’étais trouvé enveloppé de brouillards épais qui ne
laissaient pas de rendre assez aventureuse la route que j ’improvisais le long
des escarpements. J'arrivai cependant sans aucun accident aux boisde Bouleaux;
mais les nuages qui couvraient cette région étaient si épais', que la vue était
bornée à une dizaine de pas; les herbes étaient trempées d’eau et glissantes ;
elles formaient comme une surface unie de verdure au - dessus d’antiques
éboulements. Un grand Rosier armé d’aiguillons redoutables ajoutait aux
difficultés de la marche. Alors seulement un de mes gens prit la liberté d’observer
que la distance de Pangui à Rarang était longue et la route fort mauvaise
il était près de dix heures, je me hâtai de redescendre, et telle était la nature
des lieux et des chemins par où je dus passer, que la descente occupa presque
le même temps que la montée, pendant laquelle je m’étais arrêté maintes fois
devant des plantes nouvelles.
Ce ne fut qu’à une heure que je regagnai la route, après m’être élevé d’environ
iooom au-dessus. Ses inégalités me parurent insensibles après le difficile
trajet que je venais de faire. Elle monte cependant et descend constamment,
supportée souvent par des échafaudages le long de montagnes escarpées,
jusqu’à ce que l’on arrive au sommet d’une arête qui s’abaisse tout à coup au
confluent d’un torrent considérable et du Setludje. Il faut descendre dans son lit
jusqu’au niveau de celui de cette rivière. Le sentier fait mille zigzags pour esquiver
la pente naturelle de la montagne et l’adoucir, mais son inclinaison propre
reste encore très-grande. On marche sur un gravier dur qui croule sous le
pied et que les feuilles desséchées des Cèdres rendent encore plus glissant;
car malgré leur excessive rapidité, ces montagnes sont couvertes d’épaisses
forêts de Déodars et de Néozas.
Le torrent, quoique très-considérable, descend sous une telle inclinaison,
que sa source ne doit pas être très-éloignée. Sa vallée retentit du fracas de ses
chutes. Ses eaux sont chargées de limon micacé. On le traverse sur un pont
formé de trois jeunes cèdres jetés d’un bord à l’autre.
Les pentes de sa rive gauche sont presque entièrement nues. Ce sont des
éboulements mobiles. On regagne de là les pentes des montagnes qui bordent
le Setludje, où l’on marche d’abord sur un sol mieux affermi, mais on
doit traverser aussi, avant d’arriver à Rarang, un immense éboulement qu’on
prendrait de loin pour un glacier, à la couleur blanche des roches felds-
pathiques qui s’y trouvent dominantes.
A l’exception des vallons latéraux qui y débouchent, la vallée du Setludje
présente désormais une scène étrange d’aridité et de désolation. Ce n’est plus
que sur les rares espaces où les pentes de ses montagnes s’adoucissent qu’il y
a quelque végétation , de misérables forêts, ou plutôt quelques Pins rabougris,
dispersés,' que l’on compte aisément à de grandes distances, d’un bord
à l’autre.
Rarang est un médiocre village, de treize familles environ, situé sur un
mamelon aride qui se relève sur la déclivité des montagnes. Son mince
territoire descend de là vers lç. Setludje, en une sorte de berceau incliné :
les ainas de pierres, couverts de dalles chargées d’inscriptions thibétaines, y
sont très- communs ; cependant il n’y a pas encore de Bouddhistes avérés
parmi les habitants.
Le 25 juillet i 83o— De Rarang a Zongui. — Le chemin suit sans interruption
la pente moyenne des montagnes, que ne sillonne aucune vallée. Les
forêts reparaissent, composées de Cèdres, tous divisés dès la base, peu élevés,
et de Pins néozas. Parmi les éboulements mobiles croît un Baguenaudier
qui me semble nouveau: (Colutea hypfiascos), et, dans les lieux pierreux
autour du village, une espèce de Cerisier à fruit absolument sessile, qui est
nouvelle aussi, si elle n’est pas identique avec le Cerasus prostratus DC.
du Liban. C’est un arbrisseau d’un mètre au plus, tortueux, diffus plutôt,
rabougri, étalé, à écorce lisse. Il est chargé de très-petites cerises tout à fait
rondes, d u n rouge vif, sans queue, à noyau sensiblement arrondi. Leur saveur
est exactement celle des cerises à courte queue. Ce cerisier est mêlé avec
le Daphne villosa, dont les baies lui ressemblent beaucoup par la couleur et
le volume, élégant arbrisseau qui abonde dans tous les lieux secs de Kanawer.
Je dois citer aussi un Frêne (Fraxinus terebinthus), arbre de petite ou de
moyenne taille, tortueux, plus souvent réduit aux proportions d'un arbuste ,
et qui s’éloigne absolument, par son feuillage brunâtre et coriace , du port de
l’espèce européenne. Il ressemble davantage au Pistachier ou au Lentisque.
Le 26 juillet 183o. — De Zongui a Kanum, et séjour jusqu'au 3 i juillet._
Une des plus grandes vallées latérales du Setludje, celle du Lipé, sépare les
deux villages. On traverse le torrent qui y coule presqu’au niveau des eaux du
Setludje, à quelques centaines de mètres seulement de son confluent avec
cette rivière. On y descend par des pentes rapides assez bien boisées, comme
celles qui regardent également au nord dans la vallée ouverte entre Pangui
et Rarang.
Le Lipé a sa source à 12 ou 15 mil. ( 3 i ou 4 i 1-) plus haut. C’est un torrent
très-impétueux, et l’un des plus larges affluents du Setludje. Son vallon comprend
plusieurs villages ou hameaux.