
plaignant horriblement de la chaleur qu’il avait essuyée depuis son départ de
Simla. Son teint enluminé me donne à croire qu’il en fait aussi bonne provision
au dedans par un libre usage de brandy' pany ; ce serait merveille si les
Anglais, à ce régime, ne périssaient pas facilemènt.
Le 8 octobre, profitant du clair de lune, je partis à 3,heures du matin de
Rourou, et, faisant double marche, je vins camper à Deohra, où j ’arrivai avant
midi. Sur l’angle émoussé des montagnes qui bordent la rive droite du Pâbeur
et la rive gauche du Deohra-gàr, est un médiocre village que j ai mentionné
en allant de Raunghur à Deohra. Le sentier passe immédiatement
au-dessous et à 200“ environ au-dessus du fond de la vallée. — J arrivai
à ce lieu au crépuscule : éclairé par sa lueur incertaine, il me parut infiniment
intéressant. Je reconnus de loin le fort de Raunghur. Le Pâbeur qui
coule au-dessous paraissait comme une grande rivière, et sa vallée au confluent
de celle de Deohra semblait s’ouvrir en une sorte de cirque. Le
monticule de Raunghur s’élève de son fond, et en face, à portée de canon,
sur la rive opposée du Pâbeur, s’élève une autre colline conique beaucoup
plus haute, au sommet de laquelle je m’étonne de n’avoir aperçu aucune
ruine de forteresse.
La vallée de Deohra est la plus agréable que j ’aie vue. Son torrent coule
au fond d’une ravine étroite et profonde qui le cache presque constamment;
mais son cours est nettement tracé par une magnifique bordure
d’Aulnes qui croissent au-dessus. Des deux côtés, mais sur la rive droite surtout,
les montagnes s’élèvent au-dessus de ces escarpements par des pentes extrêmement
douces, et la culture occupe plus de la moitié de leur Surface dans leur région
inférieure et moyenne. Au-dessus sont des forêts.De nombreux bouquets de bois
sont entremêlés au travers des hameaux dans la région moyenne, où rougissent
çà et là , du cramoisi le plus riche, des champs d’Amaranthes. Plus bas sont des
rizières étagées soigneusement les unes au-dessus des autres. La demeure du Ra-
nah de Djouboeul, Pl. X L V I I , que j ’ai décrite le 8 juin dernier, est située au sommet
d’une faible colline qui s’élève du fond de la vallée, en un lieu où elle s’élargit,
un peu au-dessous du confluent de deux torrents, et n’est pas un de ses objets les
moins remarquables. Le croquis que j ’en ai fait est d’une grande exactitude.
Le Vakil du Ranah, son ministre ou régisseur, vint, peu de temps après
mon arrivée, m’annoncer le désir qu’avait son maître de me faire une
visite. Occupé alors, je répondis que je lui ferais dire quand je serais p r ê t ,
et une heure après je lui envoyai un de mes Gourkhas en ambassade a
cet effet. La pompe royale sortit aussitôt du Durbar, car c’est ainsi quon
appelle cette espèce de palais, et en quelques minutes arriva à la mauvaise
baraque où je m’étais établi. On n’y pouvait monter que par une planche
mal assurée. Je sortis sous la petite varangue qui entourait les quatre murailles
, et tendis la main au Ranah dans son voyage sur la planche, qui
s’appuyait par un bout sur cette varangue. Ma bonhomie plus qu’anglaise
le déconcerta beaucoup; je l’entraînai dans l’unique petite chambre de la
baraque, sans faire attention au nazzer qu’il m’offrait, t. roupies ( 5f, oo),
modestement. Je me contentai de les toucher; un de ses gens, tandis.qu’il
marchait avec moi, lui ôta ses souliers, et il entra chez moi en bas de soie
blancs. Sa petite cour, qui faisait un feu de peloton de salams, entra derrière,
avec un de ses serviteurs tenant à la main un petit tapis. Le Ranah toutefois
ne semblait pas, certain de son droit à l’honneur de s’asseoir devant moi.
Je demandai une chaise, pour lu i, mais il n’y en avait présentement qu’une
dans ses États, la mienne, que je ne pouvais lui céder. Je le fis donc asseoir
sur mon lit, qu’on couvrit de son tapis; faveur qui le couvrit de confusion,
car mon lit était aussi haut que mon propre siège. Il s’attendait évidemment
à s’asseoir par terre sur son tapis. .
Le Ranah de Djouboeul est un jeune homme de 25 ans, je pense, kschattri
de caste, et le moins noir des Indiens que j ’ai vus. Son teint est basané
avec de belles couleurs vermeilles. Il me rappela absolument le Rajah de
Bissahir, par ses manières et presque par ses traits.. Il est exempt du goitre
(dont je n’ai vu aucun cas dans sa vallée,, et très-peu dans celle du haut
Pâbeur ) ; mais sa vue est extrêmement myope. Je le gardai une heure et
demie à causer. Il n’avait assurément jamais rencontré une telle condescendance
en aucun Européen. Les Anglais traitent trop durement, trop formellement
ces pauvres diables de gentilshommes natifs. Celui-ci écoutait
avec avidité ce que je lui contais de la vie européenne. Des gazettes m’arrivèrent
de Simla pendant sa visite. Je lui expliquai ce que c’était. Il n’en avait
jamais vu et n’en avait aucune idée. Le papier de Chine sur lequel sont
imprimés les journaux de Calcutta, l’impression, excitaient sa surprise au
plus haut degré. Je risquai la description de la mer, celle d’un vaisseau:
c’était pour lui comme les histoires des fées. Je le questionnai sur sa manière
de vivre , m’abstenant seulement sur tout ce qui a rapport aux femmes, sujet
qu’il est grossier de toucher. Je le plaignis de vivre seul, de manger toujours
seul dans une si grande maison; et il parut trouver sa condition assez triste.
Tous les petits chefs montagnards vivent en effet dans une sorte de réclusion.
Jamais celui-ci ne va à Khôti-Khaye, où réside un autre prince du même