
Cette configuration des montagnes donne aux paysages d’aientour un aspect
nouveau; il est plus ouvert, e t , comparativement à la triste laideur des
scènes que j ’ai vues se répéter depuis un mois|sil est presque riant.
Divers sentiers très-fréquentés rejoignent le chemin à mesure que l'on s approche
de Simla, et celui-ci est devenu ici un bon chemin de montagnes.
Dans un hameau voisin, j ’ai vu quelques mules qui servent au transport des
commodités de la plaine pour les habitants européens de Simla, durant cette
saison. Ce sont les premières bêtes de somme que j ’aie aperçues depuis le
jour où je quittai Mossouri.
Pour la première fois aussi, je rencontrai un Européen. V u l’élévation de ce
Bungalow même, ce ne pouvait manquer d’être le docteur Gérard.
C’est un des frères du lieutenant Gérard, qui s’est fait connaître par ses
voyages géographiques dans cette partie de l ’Himalaya, et qui y a ramassé,
mais sans toute la méthode désirable , les pierres qui forment la collection géologique
de l’Himalaya, dans le musée de la société géologique à Londres. Le
docteur n’est pas moins voyageur que son frère; e t, placé à proximité des
montagnes, à Soubhatou même, il passe la belle saison à les parcourir. Il
me salua sans hésiter par mon n om , et m’apprit que j'étais attendu depuis
plus d’un mois à Soubhatou et à Simla parle capitaine Kennedy, et annoncé
de toutes parts. Quoique je n’eusse pas les mêmes secours pour faire une divination,
je n’hésitai pas à reconnaître sur-le-champ, dans cet inconnu, le
docteur Gérard, que j ’ignorais entièrement être à cette époque sur les routes
des montagnes, et que je m’étais d’ailleurs, sans aucun fondement à la vérité,
figuré d’une dizaine d’années plus jeune. Il parut extrêmement flatté de mon
instinct à le reconnaître saris l’avoir jamais vu.
Le »9 juin i83o -A u Bungalow de Mattialah.
L e i4 ju in i83o.— De Fagou à S imla , e t séjour jusqu’au 27 juin.
L e 28 juin i83o. — De Simla à Fagou.
Le 29 ju in i83o. — De Fagou à Mattialah.
Le 14 juin i 83o. — De Fagoua.Sim.la, et séjour jusqu’au 27 juin. Le docteur
James Gérard ne me quitta qu’au soir, le i 3 juin , au Bungalow de Fagou.
Il était 10 h. quand j ’écrivais les dernières lignes. Malade encore, j allais reposer,
quand un messager du capitaine Kennedy, que le docteur avait informé
dès le matin de mon approche, par un exprès, arriva en toute hâte de Simla.
Il me portait un billet poli de son maître qui m’offrait l’hospitalité, et un
énorme paquet de lettres. Il y en avait des quatre parties du monde. Laquelle
ouvrir la première? Jhésitai entre celles de mon père, de mon frère, et les
plus indifférentes, et ce fut par celles-ci que je me décidai à commencer.
Privé de toute correspondance avec l’Europe depuis près de 6 mois, il m’aurait
été bien cruel de ne trouver aucune lettre à Simla : et maintenant que je
possédais ce que j avais tant désiré, j ’aurais presque mieux aimé ne l’avoir
pas; j ’avais plus à craindre qu’à espérer. Il en est ainsi habituellement dans
tout le cours de la v ie, de là mon peu d’empressement à commencer par ces
lettres. Cependant, parmi le grand nombre de celles écrites par des connaissances
nouvelles, il y en eut peu que je pus lire sans émotion. Depuis que
j ai quitté la France pour la dernière fois;, j ’ai eu un rare bonheur. J’ai
acquis plusieurs amis , et la foule des hommes que je n’ai fait qu’entrevoir
semblent avoir gardé de moi le même souvenir affectueux que la plupart
m ont laissé. Ceux auxquels je restreins le nom d’ami sont des hommes malheureux,
et le petit nombre dé ceux qui m’ont oublié sont des .hommes heureux.
Ce que le monde, appelle le bonheur, c’est-à-dire le contentement, la
richesse, rend non-seulement dur, comme on f a dit depuis longtemps, mais
souvent plat fet vulgaire.
L agitation que me causa la lecture de cette volumineuse correspondance
ne me permit pas dé fermer l’oeil pendant les trois heures qui me restaient
pour reposer avant l’heure matinale du départ , le lendemain.
Je me mis en marche le 14, au clair de lune, à 3 h. du matin, et n’arrivai
qu à 9 h. à Simla. Dans une autre disposition d’esprit, j ’aurais joui délicieusement
du paysage. Le chemin.est excellent, mais très-montueux. Les forêts
de Mahassou, qu’il traverse, sont les plus belles que j ’aie vues dans l’Himalaya :
elles sont exclusivement formées de Çèàrea(Deodar) et de Sapins {Abiesieircula-
ris).L un et l’autre,'mais le Sapin surtout, y atteignent des dimensions colossales.
Morts et desséchés, leurs troncs gigantesques;se tiennent encore longtemps
debout. Des Lianes jCissus) s’enroulent alentour et montent jusqua leur sommet.
Rien d’étrange comme ces colonnes de verdure, —Au delà, les.montagnes
sont couvertes de pâturages dune apparence1 vraiment alpine. Les formes des
montagnes ne sont plus les mêmes que jeûnai cessé de voir depuis mon
entrée dans 1 Himalaya : elles'sont moins serrées lès unes contre les autres.
Les vallons qui les sillonnent sont plus ouverts : la culture présente une zone
peu interrompue sur les pentes inférieures, et ne s’élève nulle part à la hauteur
de la route , dont le niveau moyen est de 2400" environ.
En approchant de Simla, on rentre sous des forêts; mais l’élévation absolue
est un peu moins grande. La nature du sol a changé, l’humidité est moindre
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