
temple veillaient à le remettre en équilibre, quand l’impétuosité de sa danse l’eu
dérangeait.
Une autre idole semblable arriva là-dessus d’un village voisin avec sa musique
et son cortège. Elle fit la révérence au maître du lieu, et marcha avec lui
tout autour du reposoir, se balançant en vis-à-vis à chaque station, spectacle qui
amusa beaucoup la multitude ; il vint jusqu’à trois dieux étrangers, en sorte que
leur danse se termina par un quadrille. Je remarquai cependant que chacune
des idoles en visite entra quelques instants dans l’enceinte du temple, sans bruit
ni musique, suivie seulement des brahmanes du lieu et des siens propres.
Quand les porteurs des dieux furent, épuisés de fatigue, ils les remisèrent sous
le petit reposoir, et les villageois commencèrent à danser, en petit nombre d’abord
et les hommes seulement. Placés sur un rang, chacun passe ses bras derrière
son voisin de gauche et de droite, et prend la main de celui qui vient après.
Cet enlacement n’est pas disgracieux. Les tambours battent, les cymbales marquent
la mesure, et cette chaîne s’ébranle. La danse n’est qu’un pas mesuré et
assez lent; chacun est tellement engagé qu’elle ne peut s’animer beaucoup. Cependant
la chaîne s’allongea peu à peu, quelques femmes s’y mêlèrent, et elle
finit par se composer de plus de cent personnes. Elle figurait un arc de cercle
qui se mouvait en rond sur la pelouse, autour des idoles placées au milieu sous
la chapelle. Quelque nombreuse qu’elle fût, ni la précision ni l’ensemble ne
manquaient à ses mouvements.
Tandis qu elle accomplissait ses lentes révolutions, un de nos gens, montagnard
de Sirmour,' s’élança d’un bond sur la pelouse vers la tête de la colonne;
le Ivanaweri qui tenait ce rang d’honneur craignit de le perdre et repoussa
doucement notre intrus. Notre homme alors commença une pantomime pleine
de grâce, exprimant au villageois son courroux et. préludant par quelques ges-
tesdemenace d’une noblesse exquise. I l tira lentement du fourreaule sabrequ’il
tenait à la main, et il feignit de le provoquer au combat. Le pauvre Kanaweri
ne comprenait rien à cette petite scène, si ce n’est que c’était une comédie. Le
Sirmouri lui tourna le dos avec mépris et porta son défi à la multitude. Un
homme alors se dégagea de la foule, évidemment préparé pour la circonstance
par l’élégance de son costume. Je le reconnus pour un de mes porteurs de Sirmour.
Il était presque n u , drapé seulement autour des reins d’une longue pièce
d’étoffe blanche, croisée sur une de ses épaules; la tête nue; la barbe et les cheveux
gris; une superbe figure à grands traits sévères ; le corps presque maigre, mais
admirablement proportionné, les muscles les mieux dessinés. Il brandissait avec
une dextérité merveilleuse un énorme bâton. Ses poses étaient toutes théâtrales,
conformes à sa physionomie sévère, à son âge, â son caractère ; ses mouvements
étaient d une agilité et d une force surprenantes, mais roides et anguleux,
tandis que son champion, non moins agile, était un modèle de grâce
et de souplesse. C’étâit un beau jeune homme de 20 ans, habillé comme on
représente Pâris. Sans cesser de marquer la mesure, ils firent l’un devant l’autre
mille passes sans se répéter. Un troisième combattant parpt dans la lice , véritable
Yulcain. Il tenait une hache à la main. Sa démarche était ignoble,
mais non vulgaire. Il attaqua l’Hercule au bâton et soutint admirablement le
caractère mythologique que je lui ai donné. Mars, pendant ce temps-là, regardant
avec mépris ces rivaux, joua une petite scène de triomphe, et, à force de
chercher des attitudes voluptueuses, il en trouva d’indécentes, et de si violemment
indécentes, qu à 1 exception des dieux sous leurs niches et de mes compagnons
anglais, danseurs et spectateurs, mâles et femelles, tous partirent d’un
éclat de rire.
Le jour déclinait rapidement, nous avions 3 milles ( i l .) à faire pour rega-
gnerTchini, au travers d’épaisses forêts de Cèdres, et j ’invitai M. Inglis à donner
le signal de la fin. Quelques roupies que nous remîmes au chef du village
furènt immédiatement partagées entre la foule, sous la forme liquide, et comme
il y a des vignes en ce pays, l ’animation que nous avions vue croître graduellement
pendant toute la soirée devint extrême à l’instant. Les dieux en visite
découchèrent sans doute, car les porteurs furent des premiers à requérir
d’être portés eux-mêmes. Nous laissâmes Khôti en bacchanale complète.
Les femmes qui s’étaient mêlées à la danse y formaient presque toutes de
petits groupes continus, dont la tête et la queue seulement se trouvaient en
contact avec lés hommes, bien plus nombreux qu’elles dans la chaîne. Cependant
il y en avait de placées entre deux hommes, je ne sais si c’était entre deux
étrangers ou entre deux de leurs maris, puisqu’ici elles en ont plusieurs. J’en
remarquai quelques-unes, qui, tout en dansant, souriaient quelquefois à leurs
voisins avec qui elles causaient. Je note c e c i, parce que c’est la première fois
que je fais cette observation dans l’Inde.
Elles étaient vêtues presque uniformément d’une longue et large robe de laine
blanche, rayée de rouge et de brun. Quelques-unes avaient les épaules nues,
et comme ce n’étaient ni les plus jeunes ni les plus belles, je conclus que c’étaient
les plus pauvres; mais la plupart portaientune espèce de veste à manches
et une pièce de laine bigarrée comme leur jupon, passée en écharpe et roulée
en ceinture sur les hanches. Leur coiffure était là seule partie de leur costume
où se montrât quelque toilette ; elles avaient un petit bonnet de forme pareille