
Les contraventions au voeu de chasteté , quand elles viennent à être démontrées
par des preuves vivantes, sont punies de quelques peines infamantes et
de l’exclusion du couvent. Tojis les Lamas ne gardent pas rigidement leur
voeu à cet égard, mais il y en a de réellement très-austères.
Dans un pays où la nature a limité si étroitement les moyens de subsistance
de l’homme , je ne vois rien de si sensé que ces institutions religieuses qu i,
par la règle du célibat, préviennent l’accroissement de la population sans
créer d’oisifs.
Le temple où je demeure est réputé d’une grande sainteté en raison de la
bibliothèque thibétaine qu’il contient. L’un de ses ouvrages est une sorte d’encyclopédie
en 2^5 volumes. Un autre est un livre de théologie en 100 volumes.
Il y en a encore d’autres, mais moins volumineux.
L ’encyclopédie est évidemment une traduction du sanscrit ; elle est imprimée
avec des types de bois, et vieille déjà de 88 ans. La théologie, imprimée
au même temps et dans le même lieu (un immense couvent du Bas-Thi-
b e t) , passe pour avoir 3ooo ans d'antiquité; mais rien de si apocryphe que
cette date.
Le chef des Lamas de Ranum, Pl. LV, vient tous lés matins et tous les
soirs, seul ordinairement, dans le temple. C’est un grand vieillard tout
courbé, d’une superbe figure pour faire un pape, presque chauve; la tête
d’ailleurs rasée et n u e , avec le nez qui incline a la tombe, comme il est de
coutume en son caractère ; il apporte soit de l’eau dans une burette de cuivre,
soit du feu dans un réchaud, passe au travers de mes domestiques ou près de
moi, apparemment absorbé dans sa prière, et ayant l’air de ne voir personne ; il
ouvre l’énorme cadenas qui ferme la porte du temple et y demeure habituellement
enfermé une demi-heure. Ce qu’il y fait, je l’ignore, car il y a des jours
où il ne chante pas ; mais il me semble que le plus souvent il y récite des
prières avec la plus excessive volubilité, haussant et baissant le ton de sa voix,
nasillant, exactement comme les prêtres catholiques. A certains intervalles, il
agite aussi une sonnette. Une lampe brûle perpétuellement dans ce temple.
Il n’y a point ici de fêtes religieuses régulières et périodiques comme parmi
les Hindous orthodoxes des plaines. Les cérémonies extraordinaires naissent de
l’occasion. Ainsi, pour les pluies ou les sécheresses qui mettent en danger la
récolte du village, il y a des rogations diverses. Un malade en fait faire pour
le recouvrement de sa santé. En général, c’est au diable plutôt qu’à Dieu que
sont offerts les sacrifices en ce cas. J’eus le plaisir d’en voir un : c’était pour
guérir un riche paysan malade. Le Grand-Lama de Ranum avait changé ses
guenilles rouges qu’il porte tous les jours, pour un large vêtement de soie;
jaune et rouge, Pl. LV, semblable par la forme et l’ampleur à la robe d’un
eveque. Il avait en outre une mitre exactement pareille à la mitre romaine ,
mais de couleur jaune, à l’exception de deux courtes banderoles rouges,
qui en tombent de chaque côté par derrière sur les épaules. Ses acolytes,
vêtus de soie aussi, offraient une imitation assez fidèle du costume des diacres
et sous-diacres qui assistent le prêtre officiant dans les grandes cérémonies
de l’Eglise catholique. Leur coiffure était une sorte de casque très - élevé ,
de couleur rouge , surmonté d’une large chenille frangée qui représente
assez bien la houppe dont est orné le bonnet noir pointu des prêtres catholiques.
Le Grand-Lama avait d’énormes bottes rouges; mais pour le reste
de son clergé , la chaussure était ad libitum : quelques-uns des diacres étaient
nu-pieds.
Ils se tenaient tous debout alignés, l’évêque au milieu , sur la terrasse de leur
couvent. Lévequei, une sonnette à la main, deux de ses acolytes armés de
cymbales, deux autres de tambours de bois portés sur un long manche comme
une sorte de bassinoire, deux autres enfin du redoutable tamtam. Et malgré
1 accompagnement de cette musique qui marquait la lente mesure de leur
chant, il ressemblait étonnamment, par sa monotonie nasillarde; à une suite
de lieux communs de notre musique d’église.
Tandis qu’ils chantaient, trois autres Lamas masqués et déguisés en diables
d’opéra, mais les plus effroyables que j ’aie jamais vus, exécutaient devant eux
une danse de caractère. Les diables tenaient de la main droite une espèce de
couteau, et de l’autre une petite cassolette de bois. Leur pantomime généralement
était grotesque et suppliante ; mais par intervalles l’orchestre
précipitait sa mesure, et ils se démenaient alors comme de vrais diables enragés.
Les villageois rassemblés sur le toit des maisons d’alentour semblaient
s’amuser beaucoup de cette cérémonie. Admis dans le choeur, sur la terrasse
meme du couvent où elle s’exécutait, je partageai leur bonne humeur sans
paraître offenser nullement les Lamas.
Après le ballet, la procession sortit du couvent, et je la suivis dans un champ
du voisinage où la danse recommença, mais sur une mesure plus vive. Quelques
autres Lamas; pendant ce temps-là, allumèrent un feu de paille, et le
Grand-Lama, après avoir bu dans un véritable calice romain quelques gouttes
d’eau qu’on lui versa d’une burette également semblable aux nôtres,
jeta dans le feu un gâteau orné de feuilles de genévrier et de petits drapeaux
fichés dans la pâte. L ’épouvantaTle charivari de l’orchestre cessa subitement,
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