
me faisait désirer d’en prendre un de repos à Tchamoulé pour les examiner
sans délai : mais la nuit fut si froide, qu’à peine pus-je dormir; cependant
j ’avais triple vêtement de laine et cinq couvertures pour m’envelopper, à
l’abri sous une tente. J’en sortis de bonne heure, chassé par le froid; elle
était couverte d’un givre abondant; la prairie d’alentour en était toute blanche.
Mal vêtus et plusieurs d’entre eux presque n u s , mes gens étaient accroupis
autour d’un grand feu. Pour leur éviter, ainsi qu’à moi, une autre nuit de
souffrance, je donnai l’ordre du départ, qui fut reçu avec joie.
J’étais monté à cheval au Kioubrong-ghauti, et l’expérience que j ’y avais
faite, y étant parvenu sans aucune fatigue, de marcher rapidement pendant
une heure en un lieu élevé de 5,6oom, ne me laissant pas de doute sur la cause
des symptômes singuliers éprouvés par les voyageurs qui montent à la cime
du Mont-Blanc, je voulus gravir à pied le col de Gantong, pour connaître
si la marche prolongée, mais prolongée modérément, pendant 5 heures seulement,
et très-lente, avec de nombreux intervalles de repos, sur des pentes à
la vérité fort rapides, mais dont la hauteur verticale n’excédait pas i,ooom,
me réduirait à l’état d’épuisement décrit par M. Gérard comme la suite
immédiate du moindre mouvement, dès que l’on atteint l’élévation absolue
de i 5,ooop,a* (4,572“). C’était là justement le niveau de mon point de départ.
Excité dans les commencements de ma marche par le froid du matin, soutenu
ensuite par la vivacité du vent, préoccupé par l’intérêt des objets que je
voyais à chaque pas, souvent arrêté par eux, et soigneux de faire après
3 heures de marche un léger repas pour prévenir tout sentiment de faim,
que j ’ai éprouvé constamment produire en moi dans les lieux élevés, un
affaiblissement extrême et des maux de tête, je me trouvai sans fatigue et
presque sans m’en douter au sommet du col de Gantong, élevé de 5,5y6m.
Au lieu de la neige dont j ’y avais été couvert quelques jours auparavant,
j ’y trouvai le même vent d’ouest, également froid et bien plus impétueux,
et le ciel le plus transparent. Je remarquai, comme la veille à Kioubrong-
ghauti, la couleur foncée de son azur; mais la teinte en était parfaitement
pure sans aucun mélange noirâtre.
Gantong-ghauti est une, très-large ouverture, entre des montagnes qui la
dominent immédiatement de 3oom environ. Celles du côté septentrional sont
fort roides dèk leur base, et portent des escarpements couronnés par un
plateau peu incliné, couvert de neige. Du côté du sud, elles sont presque
abruptes ; la neige n’y peut tenir, et roule dans le petit vallon qui descend
doucement à l'ouest ; accumulées ainsi en un lieu où s’engouffre le vent de
ces hautes régions, ces neiges s’y maintiennent toute l’année, sur un-espace
assez considérable, à 3oom au-dessous de la limite où en restent constamment
couvertes les cimes qui n’en reçoivent que ce que les météores
déposent sur elles. Les deux cosses des montagnards, estimation de la distance
à parcourir sur la neige au sommet du c o l, se réduisent, par ma
mesure, à i,ooom; peut-être est-elle du double au mois de juillet, quand
déjà ce passage est pratiqué.
Au sud de ce massif de montagnes, coule le Taglakar, qui descend vers
Nissong. L’énorme quantité de neiges dont sont couvertes les cimes qui dominent
sa rive gauche, indique pour cette chaîne une élévation moyenne de
6,ooom ou 6200“ au moins.
Mon pouls, après quelques minutes de repos au sommet du passage, donnait
84 pulsations; mais j ’avais mangé moins de 2 heures auparavant; et
quand j ’arrivai hier au sommet du Kioubrong-ghauti, c’était 6 heures après
mon repas.
Entre 60 hommes environ qui formaient ma caravane, pas un malade, pas
un traînard.
Aucuns insectes égarés sur la neige. Ramond considérait comme emportés
par les courants verticaux, ceux qu’il avait trouvés sur les neiges du Mont-
Perdu. Saussure et M. de Humboldt rapportent à la même cause le même
phénomène, qu’ils ont observé l’un dans les Alpes, l’autre aux Cordillières.
Ici, 1 action du vent d’O . et de S .O . est trop violente pour ne pas couvrir
entièrement celle des courants ascendants, car il souffle horizontalement. Il
y a des papillons (Apolló), que je n’ai rencontrés que vers le sommet de la zone
végétale, et jamais au-dessous de 4)OOOm; jamais je ne les ai vus égarés au-
dessus d’elle.
Gantong-ghauti est remarquable géologiquement comme la limite du terrain
de Calcaire et de Grauwacke coquillier, qui recouvre le terrain de Thonschiefer
de transition, développé depuis la base de ses cimes jusqu’aux bords du Setludje,
dans la vallée de l’Yurpo et les montagnes qui la flanquent de part et d’autre.
Les contours de celles-ci diffèrent sensiblement de la forme des montagnes
coquillières. Les lignes droites, soit horizontales, soit inclinées, assez fréquentes
dans le profil de ces dernières, ne se rencontrent guère dans celui
des terrains de Thonschiefer.
A une centaine de mètres sous le point culminant du passage, le vallon neigé
s’ouvre dans une espèce de cirque où se sont accumulés divers amas de neige
d’une très-grande épaisseur, éboulés des cimes d’alentour. L’un d’eux, qui