
possèdent nos notions européennes chevaleresques de fidélité et. d’honneur
militaire. Mercenaires des Anglais, ils s’attachent à eux et ne déserteraient
point leur cause, si elle devenait mauvaise. Malgré la modicité de leur paye,
qui n’est que de 5 roupies ou i2 f,5o par mois (l’armée de ligne reçoit 7 £ roupies
ou i8f,7 5 ) , les deux corps de Dehra et Soubhatou se recrutent avec la
plus grande facilité. Il leur vient des recrues jusque ' de Katmandou : ce sont
les meilleures.
Les chefs montagnards de la contrée soumise à l’autorité anglaise mènent
presque tous le même genre de vie. Prisonniers, à peu près, d’un vizir ou d’un
v a k îl, c’est-à-dire, de leur homme d’affaires, ils n’ont de liberté que pour
fumer et prendre de l’opium. Il en est auxquels on interdit presque l’entrée
de leur zenana (sérail), du moins tant qu’ils sont jeunes; ou, s’ils y ont libre
accèsI malheur aux enfants mâles qui y naissent ! ils meurent toujours en
bas âge. Ge n’est que lorsque l’âge du Rajah avertit que bientôt il ne saurait
plus se donner un successeur, qu’on lui permet de le faire et que l’on respecte
les mâles de sa géniture. Les gens d’affaires, en tous p a ys , aiment les
minorités et les tutelles. L’héritier présomptif de la petite royauté montagnarde
est donc presque toujours en bas âge à la mort de son père. Le
vizir a grand soin de l’abrutir avant qu’il se fasse homme, soit par l’opium
et le houka, soit par la débauche prématurée : il en fait un idiot, sous le nom
duquel il régnerait en maître absolu, n’était la surveillance de l’autorité anglaise
qui réprimerait bientôt l’excès de son despotisme.
J’ai vu plusieurs fois à Simla, chez le capitaine Kennedy, le plus grand
de .tous ces ministres de la montagne, le vizir de Bissahir : un vieillard bien
en chair, gai et malin. Un domestique passant devant nous avec un panier
de v in , il fit la réflexion que le vin d’Europe passait pour excellent. Le capitaine
Kennedy lui dit que certainement il savait à quoi s’en tenir à cet égard, et lui
offrit d’en répéter l’épreuve : le vieux drôle s’excusa, disant qu’il était Hindou.
•« Mais on fait du vin et du whisky en Kanawer, répliqua le capitaine; il faut
« bien que ce soient des Hindous qui le boivent, puisqu’il n’y a que des Hin-
«, dous dans les districts de vignobles. » L’argument était pressant, et l’homme
d’E tat, en affectant un peu de honte, confessa que les jeunes gens commettaient
ce péché. Sommé de déclarer s’il en avait jamais goûté, il dit en riant,
que, quand il était jeune, mais très-jeune, a d o le s c e n t il buvait comme un
poisson (c’est son expression ), et que son fils à présent buvait de même. « Mais, »
ajouta-t-il, en cherchant à reprendre son sérieux, «c’est une grande honte. »
Il voyage de Rampour à Simla sur un petit brancard couvert d’un dôme de
toile blanche, vêtu,lui-même à peu près comme les-gens qui le portent. Un
ghounte misérablement harnaché suit la litière. Une mauvaise petite tente
complète sans doute son équipage de voyage. Pour nous, rien n’indique
son rang élevé ; mais il est connu de tous les montagnards, et chacun lui fait
un salam quand il passe. Le capitaine Kennedy lui accorde un siège, et étend
cette politesse à un grand nombre de premiers ministres moins puissants; il
va sans dire qu’il laisse ses souliers à la porte. Il n’avait jamais vu de Français,
avant mo i, mais savait très-bien ce,que.c’est qu’un Français; car il y a
toujours eu dans l’Orient des aventuriers de notre nation. Quand il sut que
j allais en Kanawer, il me fit toutes sortes d’offres de service; il dit qu’il
a lla it, écrire aussitôt au roi pour 1 informer de mon voyage, et' trouvant
quelque difficulté à écrire mon nom (qui s’épelle assez bien en persan ÿA,
d>SV), nous convînmes que je m’appellerais tout simplement le seigneur
françdis, v"*-1-» u"s«>!>V ce que tout le monde comprendrait aussitôt et
retiendrait.
La surveillance politique du capitaine Kennedy ne s’étend pas seulement
aux chétifs, ' États montagnards qu elle lui donne' le pouvoir de gouverner
absolument; il reçoit les Akhbars de la cour de Rendjit-Sing et des cours
voisines en deçà du Setludje, DehU, etc., etc.
Les akhbars sont l’histoire telle que l’écrivaient en Europe les historiographes,
du moyen âge. Près de tous les princes indiens de quelque rang,
auxquels le Gouvernement a laissé.un vain titre, ou qui ont conservé quelque
pouvoir, il entretient une espèce d’historiographe q u i, dans une place d’hu-
mdité, a droit de présence à leurs durbars. C’est comme une sorte de journaliste
, rédacteur des séances des chambres. Il va au durbar avec son encre
et son papier,.et couche dessus tout ce qu’il voit ou entend. Il y ajoute les
nouvelles du dehors, qu’il attrape comme il p eu t, et quand il est au bout de
son génie, il expédie son courrier à l’Agent politique anglais le plus voisin.
Les akhbars de Lahor sont envoyés à Loudhiana, où l’Agent politique (le
capitaine Wade en ce moment) en prend connaissance et en fait faire aussitôt
diverses copies qu’il expédie sans délai aux officiers politiques de la frontière
du N .O . , à Delili, Soubhatou, Umbala ,. et au département des affaires
politiques à Calcutta. On devine aisément ce que doivent être les séances de
la cour de Dehli, où l’Empereur n’a pas l’ombre de pouvoir : les akhbars de
Làhor ne sont en vérité, guère plus intéressants. Il est évident que si Rendjit
a quelques matières importantes à traiter, ce n’est pas en pleine cour qu’il
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