
au-dessus, les grands arbres devinrent plus rares; à 3,600“ , il n’y en avait plus,
et., composée désormais de sapins rabougris et de grands arbrisseaux, la foret
expira vers 3,700” . Les neiges augmentaient en même temps d’épaisseur; enterrés
sous elles, à peine voyait-on le sommet des rameaux des Daphne nervosa.
Mes geus, que je ne puis guère nommer des montagnards ( l’oranger et le
grenadier croissent dans leurs vallées natives), n’avaient aucune expérience des
neiges, que perçait çà et là quelque buisson rabougri et desséché. Quand ils
me virent monter sur ces longues pentes neigeuses, où rien ne marque les distances,
où l’oeil ne trouve aucun objet sur lequel s’arrêter, ils se regardèrent entre
eux et commencèrent à murmurer: L’ordre impérieux de me suivre, dit du ton de
la menace, les fit cependant s’y aventurer. L ’inclinaison était médiocre, et là
où elle augmentait accidentellement, le pied néanmoins trouvait toujours une
place commode dans la neige amollie, dont la consistance était la plus favorable
à la marche. Ils voulurent se presser et en peu d’instants s’épuisèrent ; la fatigue
les rebuta, et surtout l’incertitude de la distance à parcourir. Cependant, j ’avais
gagné beaucoup sur eux et je répugnais à perdre cet avantage pour les obliger
à me suivre régulièrement ; ils m’y forcèrent en appelait le seul de mes domestiques
qui ne se tint pas en arrière, et en l’invitant à les rejoindre pour me laisser
seul. Cette mutinerie m’allait faire perdre une occasion précieuse; je n’attendis
pas que de nouvelles provocations ébranlassent la fidélité chancelante de mon
stupide et craintif acolyte ; et, ayant distingué la voix du provocateur, je me laissai
Misser avec une extrême vitesse vers un rocher où la troupe imbécile s’était retirée.
Ils ignoraient tous la manière de se servir d’un très-long bâton pour descendre
en glissant sur les pentes de neiges; et, me voyant venir avec cette vitesse,
ils crurent que j ’étais emporté. Mais en un instant je fus sur eux , et mon bambou
changea de rôle. Le sipahi Gorkha, passif pour le moins dans cette circonstance,
en fut quitte pour une apostrophe dè mépris; mais il en coûta beaucoup
plus cher à mes gens. Montagnards et Rajepouts, on les dit d'une fierté inconnue
aux habitants des plaines de l’Hindoustan : ceux-ci, néanmoins,.se montrèrent
parfaitement Hindous. Battus, ils joignirent les mains , demandèrent pardon,
et marchèrent sur-le-champ, en remarquant seulement qu’ils y mourraient
tous. La crainte les affaiblit réellement à un tel point qu’ils durent s’arrêter
sans cesse pour reprendre baleine. Ils étaient au bout de leur force et de leur
courage, quand je parvins à des crêtes qui surgirent d’entre les neiges. Les plus
voisines, au-dessus de,celles-là, étaient très-éloignées; leur accès n'offrait pour
moi aucune difficulté, les pentes continuant d’être douces et les neiges d’être
fermes. Mais la contrainte, pour l’obliger à s’y diriger, n’eût produit dans ma
petite troupe qu un désespoir mutile et peut-être dangereux. I l fallut terminer
là une ascension que je m étais promis de pousser bien plus haut avant de connaître
combien elle était facile.
Une assez bonne observation du baromètre à i j h. me donna 3,927“
(12 8 8 4 p “''-) pour hauteur approximative de cette dernière station. Le vent
soufflait avec assez de régularité du S . O . : le temps était beau : peu de nuages,
si .ee n est sur les plus hautes cimes voisines, qui en étaient enveloppées jusqu’à
la hauteur apparente où j ’étais moi-même.
C’était la première fois que je m’élevais à une hauteur si considérable; elle
excède celle où l’on commence dans les Alpes à ressentir péniblement les effets
de la raréfaction de l’air. Je ne les éprouvai nullement, je n’étais pas essoufflé
plus que je ne l'eusse été au niveau le plus bas, en gravissant avec la même
vitesse des pentes pareillement inclinées.
Je n’en aperçus les symptômes véritables chez aucun des gens qui me suivaient;
ni anhélation, ni somnolence, ni nausées.
lim e semble que dans les climats tempérés, par les parallèles moyens des
Alpes et des Pyrénées, on les éprouve plus tôt que sur, les inontagnes plus
voisines de l’équateur. Si ce fait résulte uniformément du témoignage des
voyageurs, il est peu explicable. L ’effet, s’il dépend uniquement de la raréfaction
atmosphérique, devrait être le même à la même hauteur dans toutes les régions
du g lobe ,et plutôt plus fort dans les contrées intertropicales, où la température
raréfie davantage l’air à la même élévation. — Je n ’observai pas non p lus,
dans l’azur du ciel, cette teinte noirâtre et foncée qu e 'f avais remarquée dans
les Alpes, à , 1,000“ plus bas.
La seule zone que je fusse assuré d’avoir laissée .au-dessous de moi, c’était
celle des arbres sur tout le pourtour des montagnes centrales; car je sais qu’à
plusieurs myriamètres au Sud de leurs neiges éternelles,Mes cimes indépendante
s , élevées presque autant que ma station, sont couvertes de cèdres ( le Tchour)..
Les illusions de la vue et ses erreurs sont grandes quand elle cherche des
lignes horizontales au milieu des montagnes : toutefois, il me sembla que les
manteaux de neiges qui couvraient toutes les cimes autour de moi, ne commençaient
à se tacher çà et là de lignes noirâtres qu’à un niveau partout inférieur au
mien de 100" Ou 200“ . Là expirent les forêts, en arbrisseaux rabougris. Puis
a mesure que les regards s’abaissent, les branchages noirâtres se rapprochent
sur le fond éblouissant des neiges. Puis enfin la forêt s’épaissit ; le feuillage des
arbres forme des masses presque continues, et c’est la neige qui fait tache à
son tour sous leurs sombres ombrages.