
nuant à descendre vers Rici, j ’eus soin de tirer par intervalles des coups de
fusil. Us furent entendus heureusement et ramenèrent près de moi cet homme
qui s’était égaré dans l’obscurité de la nuit, après avoir failli de se noyer auparavant
en cherchant à passer l’Yurpo, comme je l’avais craint, au-dessous
de mon gué. Il attendait le jour à jeun et en pleurant. Plus loin, je ralliai
le Saïsse, qui, dans son équipement de montagnard, avait trouvé de quoi
allumer du feu, et qui paraissait, quoiqu’à jeun, fort commodément établi pour
toute la nuit, près d’un large brasier. Le sentier, qui en montant de Rici à
Yurpo m’avait paru, quelques jours auparavant, presque uni, me sembla, dans
l’obscurité, fréquemment suspendu le long de pentes mouvantes fort dangereuses.
Quelquefois il descendait jusqu’au bord de l’Yurpo et s’y perdait entre
les blocs qui y sont accumulés ; aussi notre marche fut-elle très-lente.
Il était 2 heures du matin, le 19, quand j ’entrai avec un extrême plaisir sous
ma petite tente à Rici. Plusieurs de mes gens avaient été à ma recherche et
étaient revenus. Je fus peu édifié de leur tranquillité sur mon compte. Les
exceptions sont bien rares à la règle de non-sympathie des Indiens, de quelque
caste qu’ils soient, pour les Européens. Cette petite aventure n’eut d’ailleurs
de suite fâcheuse pour aucun de ceux qui y avaient figuré.
Le 19 août i 83o. — De Rici a Dabling-Doubling, et séjour jusqu'au 11. — .
Je descendis le 19 août à Dabling, village situé dans la vallée du Setludje, à
2 ou 3 milles (5o u f 1.) au-dessus de Poyé, mais sur la rive gauche. Je suivis
donc le même chemin par où j ’étais monté de Poyé, et ne le quittai que vers
la hauteur moyenne des pentes des montagnes qui bordent le Setludje, pour
gagner par un sentier assez uni le village de Dabling, élevé d’environ 200“ au-
dessus de la rivière. C’est dans la partie inférieure de la vallée de l’Yurpo, et
dans celle du Setludje à l ’entour, que la stratification incertaine des roches
offre les plus extraordinaires contournements. Je décrirai ci-après les rapports
certains de superposition qu’il est aisé de déterminer ici , et qui montrent des
amas, des veines, des masses irrégulières, et enfin des couches de Granité enclavées
dans des Grauwackes schisteuses et des Ampelites. — Deux Synanthé-
rées, dont j ’avais déjà vu la première à la vallée d’Oumson, et dont l’autre m’était
tout à fait nouvelle, abondent dans les escarpements le long desquels est fréquemment
tracé le sentier qui conduit à Dabling : Centaurea (?) graveolens N,
lnula graveolens. Sur les pentes qui s’abaissent au-dessus vers les bords du
Setludje, et dont le sol pierreux est mieux affermi, il y a presque un bois dè
Fraxinus terebinthus, mais réduits à la stature d’un médiocre arbrisseau.
Une ravine d’où dégouttent quelques faibles sources qui nourrissent, une
verdure riante sur ses rochers, m’offrit une Pàrriassia, genre dont je n’avais
encore rencontré aucune espèce dans l’Himalaya.
Dabling ne compte que deux maisons , et son territoire, qui n’excède pas
3 hectares , s’il a même cette étendue, n’est qu’un verger de Noyers et d’Abricotiers
surtout : à peine y a-t-il au-dessous quelqué culture. Le long des ruisseaux
qui l’arrosent, détournés d’un torrent voisin, croissent en assez grand
nombre des Peupliers dont les feuilles desséchées servent à la nourriture des
bestiaux pendant l’hivjer. Ce hameau dépend de Doubling, avec lequel il est
inséparablement nommé : Dabling-Doubling. Doubling, proprement dit, est à
un mille (f 1.) au moins de distance, et la nature a séparé de Dabling le gradin
des montagnes sur lequel il est situé, par des arêtes escarpées qui les.isoleraient
absolument sans de rudes échafauds suspendus le long de leurs murailles
verticales, et par un médiocre torrent qui sillonne une profonde ravine. Ce torrent
est formé des eaux réunies de deux cascades, que l’on admirerait si elles
avaient un autre cadre que des roches nues, d'une teinte sombre, dont la hardiesse
n’est qu’un détail perdu dans l’horizon de montagnes déchirées qui
borne la vue.
Les eaux détournées de ce torrent portent la fertilité sur le domaine de
Doubling, qui de loin, je l’avoue, de Poyé par exemple, paraît absolument
une oasis dans le désert, mais dont les alentôurs, vus de près, ne peuvent cependant
justifier les épithètes de nudité et de désolation qu’Herbert accumule
dans leur description. Le Néoza s’y mêle fréquemment aux Frênes rabougris,
et sur le sommet du vallon faiblement excavé qui s élève au-dessus du village
vers le sommet des montagnes, il y a des Déodarscomme en face de Poyé : les
villageois m’ont assuré qu’au-dessus des Déodars, il y avait encore des Bouleaux,
arbre que je croyais propre aux montagnes de la partie moyenne et inférieure du
cours du Setludje en Kanawer. Point de Vignes : le Noyer, dans les vergers,
n’est plus qu’un arbre de moyenne taille, et ses fruits, à la fin d’août, sont
encore fort éloignés de leur maturité. Mais T Abricotier atteint presque la même
perfection qu’à Poyé.
Les deux espèces de Cerisier nain (Cerasus miniatus, etc.) de Kanawer abondent
autour de Dabling-Doubling. Leurs fruits, que j ’y goûtai pour la première
fois parfaitement mûrs, ont le goût agréable et rafraîchissant des meilleures
cerises.
La population ressemble beaucoup à celle de Poyé. Elle est toute tartare}
comme disent les voyageurs anglais. Mais Tartare en anglais, non plus qu’en