
de distance en distance leur misère sur les pentes des montagnes couvertes
d’Armoises odorantes, assez semblables à l’Aurone. J’ai recueilli, comme une
espèce distincte du Cerasus miniatus, une espèce fort semblable par son p o r t,
mais dont les cerises sont un peu plus grosses, légèrement pédonculées, et
dont les feuilles sont blanches et cotonneuses en dessous. Autour des chétives
cultures de Lapann, j'ai observé un Epilobe qui paraît calqué sur XEpilobium
angustifolium, et un Groseillier nouveau, que j ’ai retrouvé aujourd’hui en descendant
à Poyé. Son feuillage est glutineux et a m e forte odeur tout à fait
particulière, sans aucune ressemblance à celle du Cassis, avec lequel je suppose
que plusieurs voyageurs anglais (Herbert, Gérard) l’ont confondu. Ses
fruits, encore très-éloignés de leur maturité, sont jaunâtres (mûrs, ils sont
rouges et fades ; nul doute que ce ne soit le Red Currant des Anglais ).
Une Rhubarbe, Rheum glaberrimum, nouvelle aussi pour moi, abonde
vers 3,3oo" dans les montagnes, et s’accommode de toutes les stations. Sa
racine est comme celle du Rheum hirsutum et du Rheum humile, spongieuse ,
légère, et comme pourrie à l’intérieur; son odeur et sa saveur sont infiniment
plus désagréables que celles de la Rhubarbe de Moscovie.
Les pentes des montagnes opposées sur la rive droite du Rouskalang sont
à peu près verticales et entièrement dénûées de végétation. Le torrent a
repris ici le caractère de tous ceux de l’Himalaya : il coule au fond d’une
étroite ravine, ‘sans un pouce de terrain plat sur ses bords.
Plusieurs fois, pendant mon séjour à Tehini, je vis des brumes tellement
épaisses, qu’une pluie médiocre n’aurait pas mouillé davantage ; mais enfin
de pluie véritable, depuis Natchar, depuis que j ’ai passé sur la rive droite
du Setludje, je n’en avais pas vu une goutte. Hier au soir, à Lapann, il en
tomba quelques-unes ; mais pas assez pour incommoder mes gens qui campaient
en plein air, faute d’abri. Le vent, pendant qu’elles tombaient, continuait
de souffler avec force du S . O ., et il n’était pas moins sec que dans les
plus beaux jours.
De Lapann, montant encore pendant l’espace d’un mille (11.), on arrive
au Ghaut ou au sommet de l’arête de montagnes qui sépare le Setludje du
Rouskalang, au-dessus de leur confluent. Il peut avoir 3,6oom de hauteur.
De l à , je marchai pendant une heure à peu près au même niveau, sous les
cimes des montagnes qui, à l’opposite, s’abaissent vers la vallée d’Oumson,
dont je retrouvai diverses plantes. Point de bois; mais en quelques places
humides, de plus beaux pâturages qu’on n’est accoutumé d’en voir en K.anawer.
Les plantes graminées cependant sont loin d’y dominer. Ce sont de grandes
Potentilles, des Ombellifères, des Asphodèles, mais surtout le Polygonum
stipulation. \ .
Sur les montagnes opposées, de l’autre côté du Setludje, il y a çà et là
quelques arbres; mais l’aspect de la vallée est nu, stérile, et laid. Peut-
être que si l’on y était transporté tout à coup des plus riches parties des
Alpes, lui trouverait-on un caractère sublime de désolation. Mais il n’y a
rien dont on se fatigue- plus vite que de la poésie du désert.
Poyé est un assez grand village sur la rive gauche d’un ruisseau qui fertilise
son territoire, et à 200” environ au-dessüs du Setludje. Ses habitations
et ses cultures sont exposées-en amphithéâtre au Sud, sur des montagnes
d’une stérilité affreuse. Dabling e t Doubling, qu’on voit à 3 milles ( f 1.) environ
sur la rive opposée du Setludje, forment comme lui des oasis, mais
bien resserrés au milieu du désert.
Il doit à son exposition et à la configuration des montagnes d’alentour un
climat d’une douceur surprenante, eu égard à son élévation absolue ( 3,ooo,u
environ ÿîjC’est peut-être de tout le Kanawer le village où les raisins mûrissent
le plus tôt et acquièrent le plus de perfection. Je ir y ai pas vu de
noyer ; mais l’Abricotier y est plus magnifique encore que dans aucun autre
lieu, et pour la première fois, ses fruits, sans être fort parfumés ni très-
sucrés, y sont du moins tout à fait exempts d’acidité.
Poyé est à moitié tartare. Il y a, comme je l ’ai indiqué, un reste d’hindouisme
parmi les Lamas de Ranum, ceux de Soungnum et leurs sectateurs.
I c i, une partie de la population ignore ce que c’est que caste, mange la chair
du boeuf et toute espèce d’animaux, et porte les cheveux tressés en une longue
queue qui pend sur le dos. Cependant, ceux des habitants qui se croient encore
Hindous, s’accommodent des mêmes Lamas qui servent de prêtres à ces Bouddhistes.
Hommes et femmes sont vêtus de rouge (î), et portent, comme »les
habitants de la Tartarie chinoise, des bottes informes garnies d’une énorme
semelle. Les femmes n’ont plus d’anneau passé dans une des narines; mais
elles portent, comme les hommes, de très-grandes boucles d’oreilles et des
colliers de verroterie, d’émail bleu surtout, pour imiter la turquoise ; elles ont
les doigts couverts de bagues de cuivre. Au collier des hommes sont enfilés
des morceaux de Succin. Ils y pendent aussi des défenses de sanglier, des
cornes, et tous, sans exception, un gros étui de cuivre qui renferme un long
(i) On cultive dans ces villages quelque peu de garance pour teindre en rouge la laine q«i
sert’à la confection dé leurs vêtements.