
de leurs champs des fleurs de jasmin et de grenadier, qui croît partout ici
spontanément.
A peine avais-je campé, que mon industrieux Havildar entra triomphant dans
ma tente avec quelques menues provisions qu’il avait levées par forme de
contribution de guerre, mais en payant; il m’annonça en même temps la visite
du Mâlik de la vallée et de tous les lieux d’alentour; et malgré la pluie battante,
un beau jeune homme, .élégamment vêtu à l’indienne, de mousseline
très-claire, en turban blanc, mais avec de riches pantalons de soie et des
bottines brodées dans de larges babouches, qu’il laissa dans la boue à la porte
de ma tente, entra et me fit son salam. Ce qu’il est au ju s te , je 1 ignore encore,
quoique je l'aie gardé plus de deux heures à causer. Je le suppose un fermier
général du Rajah de Tihri, le prince de toute cette partie de montagnes.
Mâlik veut dire maître; mais c’est un mot très-vague, qui indique divers degrés
de possession ou d’autorité. Mon hôte me parut toutefois un très-grand seigneur
en ces lieux. 11 parlait parfaitement hindoustani, et je pus causer assez à
l ’aise avec lui.
Les terres arrosables de ces vallées produisent, pendant la saison des pluies,
une récolte de riz. Ce grain est de la plus belle qualité. Il est porté à dos
d’homme à Mossouri et à Dehra, là où il y a des gens assez riches pour le payer.
Ic i, sa valeur cependant est médiocre. Au travers de la complication ues
mesures locales, je crois avoir démêlé que sur les lieux où on le recueille, il
coûte environ 3 roupies (yr,5o) le quintal, c’est-à-dire 0^07 à o',o8 la livre,
et plutôt moins. On l’échange contre du sel principalement. On porte une
partie de ce sel dans les plus hautes vallées de l’Himalaya, et jusque de
l’autre côté des montagnes, en Kanaor, d’où l’on rapporte du fer en échange.
Mon hôte me paraît spéculer,.soit pour lu i, soit pour le Rajah, sur cés sortes
de transports qu’il fait faire par ses paysans, Zémindars, comme il les appelle,
car il connaît parfaitement tous les sentiers des montagnes à la ronde; mais il
n’était jamais descendu jusqua Hurdwar, ni même jusqu’à Dehra. Où a-t-il
appris son maintien noble et gracieux? je l’ignore; mais je n a i jamais vu un
natif de si bonne mine. Il n ’avait vu d’Européens que quelques-uns de ceux qui
vont chaque été aux sources du Gauge et de la Jumna, et d’autre femme blanche
que la femme d’un d’entre eux ; il est grand admirateur de sa beauté. Il me dit
qu’il avait.20 ans et trois enfants très-jeunes. Son âge, sa figure, le rend tout à
fait vraisemblable; à peine a-t-il quelque peu de barbe, et chez lui, ce nest
pas évidemment comme chez un grand nombre de pauvres montagnards
à moitié Tartares-, faute de nature. Il a les traits grecs les plus prononcés,
les plus purs, et je ne puis croire qu’il soit de descendance montagnarde.
Il n y a pas un Musulman, me dit-il, dans les montagnes, e t, parmi les castes
d’Hindous, celle des Radjpouts y est de beaucoup la plus nombreuse; le Rajah
lui-même est Radjpout; riches et pauvres (dès riches, il y en a peu), tous sont
Radjpouts. Mais, ajouta-t-il, il y a Radjpout et Radjpout-.tel mange de ceci,
de la chair de chevreau, dont un autre s’abstient, etc., etc. Il était trop
jeune pour se rappeler la guerre des Gorkhas, question qui fit dresser les
oreilles à mon havildar, assez fier, ce me semble, de sa nation. Mais quelques
gens de sa suite, paysans déguenillés, qu’il avait pris au village pour lui faire
honneur, répondirent par un soupir et ajoutèrent quelques mots à la louange
du temps présent. Ils n’ont jamais vu de jours si paisibles. Les Anglais ont laissé
à leur Rajah sa souveraineté, mais lui ont interdit d’entretenir un seul sipahi,
s’engageant à faire obéir ses sujets en cas de révolte. Le pouvoir exécutif de
cette principauté se trouve entre les mains de l’officier anglais qui commande
le Dhoun. Les Gorkhas se tiennent tranquilles chez eux, ou se pillent entre
eux, sans jamais entrer sur le territoire protégé des Anglais; la paix la plus
profonde y règne. Sans doute, dans l’opinion des montagnards, leur Rajah est
pour eux un prince équitable, puisque le sachant sans force, et connaissant
bien la justice des Anglais, jamais ils ne se révoltent contre lui.
Le temple de Tahnao, petite maison de pierre et. de bois, de beaucoup la
meilleure du hameau, est réputé d’une grande sainteté. Beaucoup de faquirs le
visitent. La nature des matériaux dont il est construit ne permet pas qu’il soit
ancien; mais je regarde comme telles quelques ruines bizarres qui l’entourent,
lia plus grande a la forme mitrale des Pagodes de Bénarès , et elle est couverte
des sculptures les plus fréquentes sur les temples hindous de cette ville et de
Bindrabund. Le style est le même. Nul doute qu’elles n’aient été ciselées par
des artistes de l’Hindoustan appelés ici. Mais quand? aucune inscription sur ces
pierres sculptées. Quoique ces ruines soient des plus humbles proportions, il me
parait invraisemblable que le petit édifice dont elles laissent encore soupçonner
la forme, ait été élevé par les habitants des montagnes, et je le crois plutôt une
fondation pieuse de quelque dévot qui aura passé ici, allant en pèlerinage
aux sources de la Jumna. Il est élevé de 1448“ (47521’- -
Le 11 mai i8 3 o r^ - Camp à K ô tn eu r,^ j^T ou , 5 heures de marche très-lente de Tahnao.
Après 28 h. d’une petite pluie presque continuelle, le ciel s’éclaircit un peu
hier vers le coucher du soleil. La pluie cessa, mais le temps demeura me