
sistai pas très-impérieusement, du moins je ne voulus pas les contraindre. Trois
montagnards de Cursali m’accompagnèrent seuls, qui semblaient parfaitement
habitués à marcher nu-pieds sur la neigé; je me trouvai bientôt avec eux au pied
d’une cascade assez belle que forme la Jumna, à moins de io om au-dessus de
Jumnoutri. Je leur dis de me conduire jusqu’à la plus haute. Ils me firent monter
près de la première par des pentes d’une roideur excessive q u i devinrent bientôt
tout à fait inaccessibles. Le temps dans l’intervalle s’était gâté; redescendre pour
essayer une autre route, avec ce peu de monde, eût été peu prudent; 1 heure
d’ailleurs s était aussi avancée, et je ne redescendis que pour retourner a
Cursali. Je ne m’étais élevé au-dessus de Jumnoutri que de 170'“ environ.
A cette hauteur ( 335i m ou io994p a' au-dessus de la mer), j !étais encore
considérablement au-dessous de la source de la Jumna. A une grande distance
vers le nord, je la voyais former une nouvelle cascade, et j ignore si celle-la
était la première.
Autour de*moi se voyait une petite espèce de Rhododendron que j avais
trouvée pour la première fois à 3ooom de hauteur (Rhododendron hérbium N.
[B. 7 3 1 ]). Le bois au-dessus, assez épais malgré l’excessive inclinaison des
pentes, était presque exclusivement formé de Querçus diversifolia. Le Rhododendron
arboreum était resté au-dessous. Quoique la diversité des arbres ne
fût pas grande, il y en avait cependant d’autres espèces; mais dépourvues de
feuilles ou de fleurs, je ne pus reconnaître parmi elles que l’Aulne, Alnus obscu-
ra TV., le même sans doute que dans les vallées, à 1800“ au-dessous. J estimai
que sur des sommets voisins, indépendants des cimes plus élevées que couvrent
des neiges éternelles, la zone des forêts montait jusqu’à 5oom au-dessus de
ma station, et j ’ai lieu de penser que cette estimation n’est pas fort inexacte.
Une largeur considérable de eétte zone est encore enterrée sous les nèiges,
d’où l’on voit sortir les troncs noircis des arbres dépouillés.
La Jumna descend à peu près au sud jusqu’à Cursali. La disposition des
neiges inférieures sur les pentes des montagnes, entre lesquelles elle s enfonce
dans le lointain, est singulière et tient à la stratification des roches dont elles
sont composées, qui toutes plongent régulièrement au nord. Sur leurs escarpements
les neiges ne peuvent se tenir; mais sur les étroits gradins de retrait
de leurs murailles, elles s’accumulent, et, exposées: au nord parce que la
surface de ces gradins est toujours le plan d’une couche, elles se sout défendues
partout jusqu’à présent contre les chaleurs du printemps. Ces gradins
parallèles couverts de neiges, séparés par des murailles presque vertical es,
ou cependant, à quelque distance, la végétation paraît assez bien établie,
forment sur les pentes des montagnes, de chaque côté de la vallée, une
rayure bizarre par sa régularité. On prendrait à peine pour un ouvrage de
la nature, cette marqueterie gigantesque de neiges et de forêts.
J’ignore ce qu’elle peut déployer de beautés dans d’autres parties de l’Hima-
laya, mais j ’assure que celui qui ferait le voyage de Jumnoutri, sans lui
demander d’autre intérêt que celui des. paysages, n’y en trouverait qu’un
médiocre. Il est vrai qu’il n’aurait pas droit à de grandes récompenses pour les
fatigues et les dangers de son expédition. Forcé à la même lenteur dans sa marche
que les gens de sa caravane, la fatigue est bien légère pour le voyageur le
moins familier avec les montagnes; les difficultés, les obstacles dont j ’avais
entendu parler, je les cherche vainement au-dessous de moi. De Landaor à
Mossouri, pas un précipice, pas un seul de ces passages scabreux où la sûreté
du pied 11’est pas moins nécessaire que le sang7froid; pas un danger réel,
et pas même l’apparence mensongère d’un danger.
C’est là condamner le paysage; car ce n’est pas de traits doux et riants qu’on
attend à voir se composer la beauté dans les plus hautes montagnes du monde.
On s’élève graduellement dans le fond d’une longue vallée, on passe d’une vallée
à une autre, les aspects généraux changent, la culture occupe le fond de ces
vallées, et c’est à des forêts que l’horizon se termine sur les sommets. Plus loin,
la culture ne se montre plus que jetée çà et là comme une tache d’un vert
plus riant, ou d’uue teinte dorée, sur la pente adoucie des montagnes, dont les
cimes sont encore couvertes de forêts. Ailleurs,, le défaut d’humidité ne
permet qu’à un maigre gazon de se nourrir sur des pentes plus rapides,
puis011 arrive vers le haut de la vallée, et alors ce sont des neiges que la
vue rencontre à leur sommet et à celui de tous les vallons qui y descendent.
Mais dans chacune de ces régions diverses,, il y a une absence totale
de détails et d’individualité. Quand on a voyagé dans les Alpes, on s’en
rappelle les villages, les hameaux, les cascades, les lacs, les montagnes:
c’est que ni ces la c s , ni ces cascades, ni ces montagnes ne se ressemblent
entre eux; chacun de ces objets a sa forme, a sa figu re propre. Dans TOimalaya,
rieu de pareil. Dans le champ qu elle embrasse, rarement la vue peut-elle
y saisir quelque objet saillant. Du jour au lendemain, les aspects peuvent
changer, si l’on a monté ou descendu constamment; mais d’un point de
l’horizon à l’autre, dans celui où vos regards peuvent s’étendre, il n’y a qu’une
fatigante uniformité.
Les plus hautes cimes de cette partie de l’Himalaya ne dépassent guère 6ooom
de hauteur absolue, d’après les mesures approximatives des géographes anglais l