
dans la rue quand cette fantaisie barbare lui prit : il les fit écraser par un
éléphant. Depuis, sa petite capitale n’a jamais été tranquille. Tout récemment,
il vient de faire pendre son vizir; et le désordre s’accrut alors tellement, qu il fut
obligé de s’enfuir. L’homme qui le gouverne à présent est un derzi ou tailleur.
On obligera le Rajah à pendre son favori ; mais les pauvres gens de Belaspour
n’en seront pas moins exposés à l’avenir, à moins qu’on n’ôte au Rajah tout
pouvoir. Ce sera contre les traités, mais l’exécution du traité serait une violation
des lois de l’humanité. Le Résident d’Ambalah devrait conseiller an gouvernement
cette mesure. Mais on dit que le Rajah sera seulement réprimandé ,
menacé, et comme c’est une espèce d’imbécile, il recommencera le lendemain.
De tous les princes indépendants placés sous la surveillance de l’Agent politique
à Ambalah, il n’y en a que deux dont on ne dise pas de mal, le Rajah
sike de Patialah, et le Rajah de Sirmour. Les autres sont ou des idiots,
ou des méchants achevés. Pour en faire des pensionnaires du gouvernement
anglais, et soumettre à la règle de celui-ci l’administration de leurs provinces,
qu’en coûterait-il ? un trait déplumé du Gouverneur-général, dit M. Fraser.
L e s T h u g s . J'ai lu à Soubhatou une longue circulaire adressée par le
Secrétaire-d’État au département de la justice à M. Fraser , comme Com-
missioner de Debli. Ce sont divers interrogatoires subis par des Thugs prisonniers,
q u i, pour sauver leur v ie , ont confessé tous leurs crimes et dénoncé
leurs complices.
Les Thugs forment des bandes de 20 à 40 hommes qui se partagent et se
rassemblent à des lieux convenus, suivant les occurrences. Leur objet est
le vol ; leur moyen, le meurtre. Ils étranglent toujours leurs victimes et les
ensevelissent afin de mieux effacer les traces de leur crime. Ils brûlent leurs
vêtements et ceux de leurs effets qui pourraient les faire reconnaître s ils
les portaient, et ne gardent que les métaux monnayés, les vases, les ornements
de cuivre et d’argent. Us semblent considérer leur métier comme une
loterie où, pour gagner, il faut prendre le plus grand nombre possible de
billets. Une bande de 3o Thugs, dans une campagne de 4 » 5 mois, commet
une centaine de meurtres. 11 n’en faut pas moins pour leur donner du pain
pour ce temps-là et le reste de l’année, car le plus grand nombre de leurs
victimes sont de pauvres gens qui voyagent sans défiance, parce quils ne
portent que quelques roupies avec eux; des domestiqués; des sipahis surtout,
allant en congé ; des fakhirs.
Sur la route, en plein jou r, les Thugs sont les gens les plus officieux. On
se lie avec eux, on campe près d’eux le soir; cé sont de bons voisins, experts
à couper du bois et à ramasser le combustible nécessaire pour préparer lé
souper. Us partagent'leurs provisions avec leurs nouveaux amis, e t, après
avoir mangé, fument ou causent à l’entour du feu , quand, au moment
favorable, tout à coup ils se jettent sur eux et les étranglent avec leur
mouchoir. Des fosses sont creusées d’avancé, en quelques minutes les victimes
sont enterrées, et la bande se remet en marche avec leurs dépouilles.
Les Thugs se recrutent parmi toutes les castes d’Hindous et parmi les
Musulmans. Les Etats d’Oude et les contrées qu’arrose le Nerbouddah sont
le théâtre le plus habituel de leurs crimes; mais c ’est du Bundelkund que
sortent la plupart de leurs bandés. Chacun y a son emploi particulier. L ’un
sert d’espion ou d’éclaireur; un autre ramasse du bois pour le repas du soir;
il y en a qui n’ont d’autre occupation que de creuser des fosses et d’ensevelir
les cadavres. Il faut avoir passé par bien des épreuves pour être élevé au
rang de Thug proprement dit, ou de Thysangui, c’est-à-dire, d’étrangleur.
Ce grade ne se confère pas sans une sorte de cérémonial maçonique, et
tous les Thugs, quelle que soit leur caste, sont liés par cette initiation, où la
religion n’est pas étrangère. Sur les bords du Gange, près de Mirzapour, il
y a un temple habité par une idole particulière, que desservent dé vieux
Thugs, et où tous les affiliés se rendent de temps à autre en pèlerinage.’ Le
gouvernement est bien mieux informé que moi de ces détails; mais, dans les
mains de sa ridicule justice, c ’est une connaissance inutile. Mettre le feu
au temple et pendre ses prêtres, qui sont tous des vétérans du meurtre,
serait plus juste que de les tolérer ; mais il vaudrait bien mieux s’en servir
comme d’un appât, et faire enlever et mourir avec le plus grand secret les
pèlerins qui le visitent.
Si j’étais juge, je n’hésiterais pas à laisser échapper dix coupables plutôt
que de condamner un innocent; mais le législateur ne doit pas penser
comme le juge. Chaque Thug commet moyennement quatre meurtres par
année. C’est assez pour justifier la détention perpétuelle des. gens soupçonnés
de oe crime. — Quant à ceux dont la criminalité est prouvée, de tels scélérats
sont en dehors de l’espèce humaine. La mort pour eux , et pour leurs complices
! , . . . L
Mais ils ne paraissent pas la redouter beaucoup. Dernièrement, M. Smith,
Agent du Gouverneur-général à Sagur, c’est-à-dire, proconsul de l’Inde centrale
, vient d’en faire exécuter 11 à la ’ fois. Jeunes et vieux, hindous et
musulmans, tous sont morts en riant. Plusieurs, sur l'échafaud, se sont
pendus eux-mêmes.