
d aller à pied sans avoir mendié ses souliers. Un officier militaire au service
de la Compagnie occupait depuis longtemps un emploi très-lucratif ; il faisait
alors une pension de 6000 fr. à sa mère, en Écosse. Depuis, son incapacité
et sans doute quelque manque de conduite, lui ayant fait perdre son emploi, il
est réduit aux appointements de son grade, environ 16,000 fr. par an : et le
voilà qui se prévaut de ce malheur et d’autres embarras pécuniaires, pour
demander secours à toute la communauté anglaisé dans l’Inde, afin de pouvoir
continuer la pension qu'il faisait à sa mère. Cependant son père était dans
une position où il n’eut jamais plus de 1200 fr. de revenu, avec lequel il
éleva une nombreuse famille. Son f ils , aujourd’h u i, semble croire qu’on ne
saurait, sans injure, offrir à sa veuve moins de 6000 fr. par an, et il déclare
que, réduit lui-même à 16,000 fr. d’appointements, il lui est devenu impossible
de prendre part à la souscription qu’il propose. Un tel homme serait flétri en
France. Ici, on.se contente de le blâmer de son inconduite, qui lui a fait perdre
l’emploi avantageux qu’il occupait auparavant.
Il y a cependant un fonds de grandeur dans cette idée extravagante ; qu’a
un homme de son droit à être riche ! Et le mépris de la pauvreté-, : qui dans
les individus est un sentiment si odieux et si bête, est utile dans une nation.
I l contribue puissamment à la grandeur anglaise.
Je reviens à Simla. L ’hospitalité vraiment cordiale que j ’y reçus du capitaine
Kennedy m’y retint plus longtemps que je ne pensais y séjourner (14 jours,
du 14 au 27 juin). Ma santé avait besoin de ce repos. Il me fournit en même
temps une occasion de voir une multitude d’hommes intéressants, la plupart
amis de mon hôte, et qui venaient partager tous les soirs un repas élégant
ét magnifique, animé souvent d’une excessive gaieté.
L ’emploi du capitaine Kennedy est un des plus beanx du gouvernement indien..
C’est une véritable vice-royauté. Comme officier militaire, il ne.relève
que du gouverneur général et du commandant en chef. Gomme comptable,
il ne correspond qu’avec le secrétaire du Gouvernement à Calcutta. Juge et
magistrat, il n’a qu’un degré de juridiction au-dessus de lu i , celle du résident
de Dehli, sous le contrôle duquel il exerce aussi son pouvoir politique. Mais
dans chacun de ces départements, il jouit à peu près de toute l’initiative, et
sa dépendance des fonctionnaires plus élevés se borne presque à les instruire
de ses actes.
Une partie du territoire où s’exerce son autorité, appartient en pleine propriété
au Gouvernement anglais, c’est la lisière des montagnes; mais elle
s’étend à un territoire bien-plus vaste. Toutes les principautés des montagnes
entre la vallée de la Tonse et celle du Setludje, sur la pente méridionale de l’Himalaya
, et le pays de Kanaor ou Kanawer, qui se prolonge sur sa pente septentrionale
jusqu’aux frontières de la Tartarie chinoise, sont tributaires de la Compagnie
ou placés,, à des conditions diverses, sous sa protection. Lé Rajah de
Bissahir est de beaucoup le plus puissant de ces petits princes. Les Gorkhas ; cependant,
l’avaient obligé d’abandonner la partie de ses États située en deçà de
1 Himalaya, et de se réfugier en Kanawer, où ils ne purent pénétrer. Il paye .Un
tribut à la Compagnie pour cette portion de son royaume, que lui rendirent
les Anglais en i 8 i 5 , après l’expulsion des Gorkhas. Il est tributaire aussi de
Reodjit-Sing et du Grand-Lama pour ses possessions trans-himalayennes ; mais
le tribut qu’il leur envoie tous les trois ans, n’est qu’un présent de peu de
valeur, qui consiste en productions de cette contrée ; quelques caisses de raisins
secs, quelques ghountes,' des queues de Y â k , des châles grossiers et des
couvertures de laine.
D’autres chefs montagnards portent aussi le titre de Rajah : mais la plupart
n’ont que celui de Rana ; ce sont les moins riches. Il est regardé dans
les montagnes comme inférieur à celui de Rajah. Dans les plaines, au contraire,
ces t le titre dè quelques-uns des princes indiens les plus puissants, dans le
Rajpoutana surtout. Au reste, Rajahs ou Ranas, cès petits princes montagnards
ne sont autre chose que des seigneurs, que des gentilshommes de campagne,
aux plus beaux jours de la féodalité. Leur pouvoir sur leurs paysans , serfs
ou sujets est le même, et n’a d’autre limite que leur caprice, et la patience
de ces derniers à s’y plier. Il en était du moins ainsi avant l’invasion des Gorkhas
et l ’établissement de la puissance anglaise ; car actuellement il n’y a plus que le
Rajah de BisSahir (Busehur, Bissar, Bossaïr, e tc ., etc.) qu’on ait laissé à peu près
absolu chez lui. Le capitaine Kennedy interpose son autorité partout ailleurs
où la tyrannie d’un chef excite des désordres. Le Rana de Khôtikaye , dont
j ’ai vu la demeure au sommet de la vallée du Guirri, a été déposé• par lui.
Des meurtres se commettaient continuellement dans les vallées qui lui appartenaient;
lui-même y prenait part. Il devint tellement odieux à ses sujets
qu ils se révoltèrent et l’assiégèrent régulièrement : il s’échappa à grand’peine
et se sauva à Soubhatou, chez le capitaine Kennedy, dont il implora l’assistance
pour le rétablir en son pouvoir. Dans nos idées de justice, européenne,
il n eût été que juste de pendre un tel misérable; mais la moralité des actions
des princes se juge dans l’Inde d’après un tarif si différent, que tous les autres
chefs montagnards eussent considéré l’exécution du Rana de Khôtikaye, ou
seulement son emprisonnement, comme une cruauté injuste. Le capitaine