
de le traverser, ou s i, obligés de le faire, ils ne prévenaient pas à temps l’officier
de Békoeur, pour qu'il pût s’opposer à leur entrée sur le territoire
chinois.
En levant, le i 3 août au matin, mon camp de Tsannsoumrick, j ’eus donc
soin d’abord de ne pas dire que j ’avais l’intention d’aller jusqu’à Békoeur, et
ensuite de faire marcher toute ma caravane en colonne serrée, avec un Gorkha
en tête, qui avait ordre de ne laisser passer personne devant. En approchant
du Houkio-ghauti, le silence fut également prescrit.
C’est une des montées les plus roides que j ’aie encore rencontrées; et le
chemin resserré dans une ravine étroite, n’a pas de terrain pour se développer
en zig-zag et adoucir la pente naturelle. J’en fis cependant la majeure
partie sans descendre de cheval.
Au sommet de cette ravine, qui a environ 5oom d’élévation verticale,
on trouve une espèce de plateau qui s’élève encore, mais faiblement. Il est légèrement
ondulé et sillonné de dépressions où coulent lentement quelques ruisseaux.
Une couche épaisse de terre végétale noirâtre le couvre presque partout;
mais la végétation y est réduite à un petit nombre d’espèces d’un aspect
misérable, celles qui peuvent s’accommoder d’un climat aussi hyperboréen. L ’élévation
excède 16,000 p-a' (4877").Le Cytisus rubescens est la seule plante à souche
ligneuse. Elle y est très-commune. Ce plateau est dominé, à gauche et à
droite, de sommets très-peu élevés au-dessus de lu i, entièrement éboulés et
nus. Avant que d’arriver au point culminant du passage, j ’y trouvai, parmi
les débris du Schiste et du Calcaire, une multitude d’Ammonites brisées, la
plupart en moule seulement. La courte description de ce lieu que donne
M. Gérard, m’avait fait penser que ces fossiles ne se trouveraient que de
l’autre côté du col; et la lettre de M. Inglis, qui me mandait ne s’être arrêté
qu’à son sommet, où les Békoeurites rassemblés s’étaient opposés à sa marche
ultérieure, et n’avoir pas été conséquemment assez loin pour voir les Ammonites
, avait confirmé cette opinion. Mais au travers des ondulations du terrain,
les pentes vers le sommet du passage ne laissent pas que d ’être un peu indécises,
et, probablement, ce que l’on regarde comme la frontière de Kanawer
et de la Tartarie chinoise, est le sommet de la ravine de Houkio et le bord
du plateau ondulé qui s’élève au-dessus.
Cependant j ’avais évidemment dépassé sa partie la plus haute sans avoir
vu âme qui vive. Sur le penchant oriental, je vis un troupeau de yâks, qui
se gardaient eux-mêmes, et très-bien, tant ils étaient sauvages. Plus bas encore
, et sur les pentes jusqu’où la végétation du plateau du sommet était à
peine descendue, j ’aperçus une troupe nombreuse de chevaux qui paissaient
en liberté ; on en compta plus de cinquante : cela annonçait un village très-
considérable. Nous étions déjà très-loin au-dessous d’eux, quand on distingua
trois hommes qui les gardaient.
Le paysage ouvert à l’Est devant nous, était d’une nudité et d’une désolation
telles que je n’ai vu nulle part rien de pareil, et c’était l’horizon entier,
et un immense horizon, qui offrait cette scène monotone de désolation.
Un espace assez large s ouvrait au-dessous de moi; c ’est un étage adouci
des montagnes qui bordent la rive gauche du Setludje. Il forme une plaine
ondulée, la seule que j ’aie vue jusqu’ici dans l’Himalaya; d’immenses rochers
en hérissent çà et là la surface, sur laquelle on distingue, à de longs intervalles,
quelques traces de verdure, et quelques arbres, les seuls qui se montrent sur
tout 1 horizon ; c’est le territoire de Békoeur. Ailleurs, ce ne sont que des montagnes
dont les pentes inférieures, recouvertes d’éboulements, sont assez douces,
et dont les sommets sont taillés le plus souvent à p ic , et découpés en figures
fantastiques, de tours et de remparts ruinés. Leur teinte, et c’est la seule
teinte de l’horizon, est d’un rouge grisâtre terne, à l’exception des cimes
plus loin'taines, que blanchissent, surtout au N. et au \ . E., des neiges éternelles.
On descend du col à Békoeur, le long de ces pentes éboulées, par un
chemin qui fait un grand contour. Je ne vis aucune figuré humaine à l’horizon et
ne distinguai bien Békoeur qu’en y arrivant. On dirait une assez grande forteresse
en ruine, bâtie sur les pentes rapides d’une haute colline qui regarde les
montagnes et qui s’élève abruptement, et surplombe même la plaine pierreuse
qui se déploie vers le Setludje; en approchant davantage, cette apparence
s’évanouit et l ’on ne voit plus qu’un amas de masures. Mais le site est
si imposant, et domine tellement la plaine située au-dessous et la gorge qui passe
entre la colline et les montagnes, que Békoeur rappelle davantage, à un
Européen, l’idée de ville, qu’aucun des plus grands villages de l’Himalaya. L ’illusion
naît, en partie, de la forme des rochers sim lesquels il est situé, et auxquels
la nature a donné les formes des ruines de nos édifices.
Arrivé si près de Békoeur sans opposition, je n’en craignais plus aucune,
et j ’avais laissé prendre les devants à ma caravane. Je la trouvai paisiblement
campée au bord d’un ruisseau, sous quelques Peupliers, les seuls arbres qui
croissent ici. Je m’informai d’abord si aucun officier n’était venu s’opposer au
campement. On n’avait pas vu un seul homme; le village paraissait entièrement
désert. J’y montai, je parcourus tous les sentiers, marchant constamment
sut des décombres. De la plupart des maisons, il ne restait que les
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