
pourrie l’apparence de la vie et de la fraîcheur. Sur la lisière des bois, on le
voit pendre partout en festons superbes.
Les pentes de ces collines sont si roides qu’elles sont inaccessibles de beaucoup
de côtés; entassées sans aucun ordre les unes sur les autres, une crete
étroite souvent les unit ; leurs lignes ne sont pas moins hardies que celles
dés plus hautes montagnes. '
Des Graminées dominent, comme en Europe, dans l’association des espèces
végétales dont se composent les prairies; mais ce sont ici d’autres espèces,
d’autres genres. Les herbes qui couvrent les pentes dépouillées d’arbres, sont
de la hauteur d’un homme. Longues, tenaces et desséchées, le vent du soir
qui les agite leur fait rendre un son aigre et métallique, menaçant. C’est parmi
elles qu’habitent les tigres et les léopards qui abondent en cette région. Seul,
on n'y marcherait qu’armé et non sans défiance. Suivi de plusieurs domestiques,
je songeais assurément très-peu aux léopards, et pourtant je trouvais quelque
chose d’hostile à tout ce qui m’entourait. Il était nuit que j errais encore a
l’aventure dans ces tristes solitudes. Quelques paons, par leurs cris, en interrompaient
seuls le silence : les oiseaux sont rares dans ces montagnes ; je
n'en vis qu’un, c’était un Bucéros d’une taille gigantesque.
C’est dans le lit même du torrent de Mohun que 1 on monte au sommet
du passage qui conduit au Dehra-Dhoun, ou à la vallée de Dehra. Son cours
est tortueux, sa pente douce et régulière. Il descend entre de basses monta
«nés souvent coupées à pic sur ses bords, plus souvent accessibles, mais
où il n’y a d’autre ouverture que son lit. Tunbarah nes t que le nom dun
lieu désert propre à camper. Le lit du torrent s’ouvre là en une sorte de petit
bassin, et sur ses bords on peut, non sans peine, tendre une petite tente.
A quelques centaines de mètres au-dessus, le lit du torrent se divise, conservant
néanmoins sa régularité et la faible inclinaison de sa pente; puis, se
subdivisant encore, il se rétrécit, s’élève, et n’est plus bientôt qu’une tramée
de galets et de blocs épars sur la pente des montagnes.
Une Gentiane, un Cirsium et plusieurs Labiées, d’un port montagnard
et européen, se trouvent sur les escarpements ombragés et humides, dès que
l’on entre dans les montagnes, en suivant le cours de ce torrent. Des Jus-
ticia, un Eranthemum, divers genres tropicaux de la famille des Verbenacées,
croissent mêlés avec elles. Dans les graviers, le Saule que j ’ai cité forme des
bosquets avec le Murraya exotica, un Grislea et d autres arbrisseaux de genres
ibsolument étrangers à l’Europe : le Pinus longifolia, qui commence à couronner
les sommets, descend aussi dans la vallée. J’ai vu cet arbre cultivé à
Calcutta; il y végète misérablement quelques années avant de périr; mais il
prospéré dans les plaines voisines des montagnes, à Kurnal et à Saharunpour.
Il est ici de moyenne taille, et assez semblable de loin, par la teinte claire
et la légèreté de son feuillage , au Pinus alepensis des bords de la Méditerranée.
Il ne dépasse point le pied des montagnes, quoiqu’il semble se plaire au
delà, lorsqu’on l’y transporte ou qu’on l’y élève.
Deux observations du baromètre faites dans des circonstances favorables,
à midi et à une heure, me permettront de calculer la hauteur de ce lieu
au-dessus de Saharunpour et de Calcutta ( 58qra au-dessus de Calcutta ).
J’y enrichis mon herbier d’une cinquantaine d’espèces Le soir, comme nous
allions nous coucher, des pâtres, qui s’étaient placés avec leur troupeau qu’ils
conduisaient aux montagnes, sous la protection de notre camp, leurs chèvres
parquées pour la nuit sur la grève aride au milieu du lit du torrent, crièrent
au tigre : Cher! Cher! signal de guerre. A l’instant les soldats de mon escorte
passent leurs habits rouges et me joignent avec leurs fusils; quelques-uns de nos
domestiques qui portent des piques en voyage, font nombre aussi. Un pâtre
a vu le tigre, malgré l’obscurité delà nuit; l’animal s’est caché dans des broussailles,
il ne le voit plus, mais il l’entend qui dévore la chèvre qu’il a ravie :
nous marchons de ce côté, à 3o pas de ma tente. Effrayé, le tigre s’échappe
dans des buissons voisins; quelques-uns l’aperçoivent et commencent une
décharge où les aveugles comme moi se joignent en chorus. Le tigre ne bouge.
On recharge toutes les armes, et pour mieux les employer, un homme marche
devant nous avec une botte de paille allumée. Nous nous avançons en demi-
cercle contre le pied des escarpements où le tigre est acculé, et au moment
où la lueur de la torche tombe sur le lieu où il s’est retiré, une seconde décharge
est dirigée sur lui; elle est également vaine, mais cette fois du moins
il regarde cette place comme trop dangereuse, et se résigne à lâcher sa
proie. Nous l’entendons grimper le long des escarpements; quelques-uns qui
croient l’y voir, lui envoient une balle, s’il en reste une dans leur fusil. Nous
conquérons la chèvre, mais elle est morte et toute déchirée par les griffes du
tigre. Fût-il venu deux heures plus tard, au clair de la lune, de ma tente nous
l’eussions pu tuer aisément. Cette familiarité est rare, et considérée comme
une exception au caractère lâche du tigre; il n’y est poussé que par les extrémités
de la faim. Après ce petit incident, nos domestiques, qui dorment à
Ha belle étoile dans le bois autour de notre tente, retournent au sommeil
sans marquer aucune crainte de visite semblable. Cependant, on tient toutes
les armes chargées, et l’on fait bonne garde. Le* cadavre de la chèvre est
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