
tapis qu’il apporta exprès; mais le transformant en prévenu, je lui fis une foule
de questions sans souffrir qu'il parlât autrement que pour y répondre. La
manière hautaine dont je le traitai, le déconcerta entièrement : sa figure était
la seule sérieuse du groupe nombreux rassemblé devant nous. Mon interrogatoire
toutefois ne marchait que lentement, et au travers d’une double interprétation;
Gougrou traduisait mon hindoustani en kanaori à l’homme de Pan-
gui, qui le tournait en tartare. — Ce soi-disant officier chinois est natif d’un
village à 7 jours de marche de Békoeur, vers le lac Mantalaï (Mansarower) ;
il est ici depuis quinze ans. Le docteur Gérard est le premier Européen qu’on
y ait v u , il y a 10 ans. Les ordres les plus sévères ont été depuis ce temps-là
renouvelés sans cesse pour empêcher aucun Européen de passer le Houkio-
ghauti. Interrogé pourquoi j ’avais pu venir hier jusqu’à Békoeur sans voir un
seul homme, il répondit que les Lamas, dans le voisinage, avaient célébré
une fêté qui avait attiré tous les habitants. Ils occupent à peu près seuls le
village, où les femmes n’ont pas le droit de demeurer. Presque tous l’avaient
quitté hier pour la fête. Ceux qui y étaient restés, s’étaient enfuis à mon approche;
ce qu’ils craignaient, je ne pus l’apprendre. Aux questions que je fis à
mon accusé sur la distance de Mantalaï, de Lassa, de Gortope, il répondit
de si mauvaise grâce que je le congédiai du geste le plus impératif. Il se retira,
comme il était entré, sans recevoir de moi la moindre espèce de salut; je ne
me levai, ni ne lui fis aucun signe de tête. J’ordonnai à mes gens de disperser
la foule rassemblée autour de ma tente, et faisant apprêter pendant ce temps-
là mon bagage, j ’en sortis pour monter à cheval, et reprendre la route du col
de Houkio. La tente abattue et pliée en un instant rejoignit les autres objets
déjà en marche. Le Moukyar était resté à causer avec mes domestiques, et
avait manifesté une grande curiosité de voir mon fusil. Il était de bonne humeur
à présent qu’il me voyait sur le départ. La possibilité de tirer deux coups
de fusil de suite, que je lui prouvai par l’expérience, l’émerveilla. L’effet des
deux balles dans le tronc de l’arbre voisin, le rendit un peu pensif. Mais tout
le village était en grande joie. Mon tabac m’y avait fait populaire.
Le Moukyar est un petit homme fort brun , un peu barbu, à nez aquilin.
Parmi les villageois, je n’ai vu aucune figure vraiment chinoise , quoiqu'un
grand nombre de fort plates, sans un poil de barbe, et dont j ’aurais pris les
porteurs pour des femmes. Mais il y avait plus qu’à Poyé de figures de caractère
européen indécis, généralement fort laides. Le Moukyar avait une robe
de chambre de gros drap violet et une grande toque de soie écarlate à franges.
Les autres villageois étaient vêtus de l'étoffe commune rouge, en tout ou en
partie, et d une saleté abominable. Tous avaient la pipe de fer à la ceinture,
et quelques-uns un mauvais couteau dans un étui de cuivre. Aucun n’était
armé. w. Comme à Poyé, la plupart avaient quelques gros morceaux d’ambre à
leur collier. L e Moukyar était distingué par des pendants et des bagues
d’émail bleu , imitant la turquoise.
Le i 5 août i 83o. — Du camp de Houkio-ghauti au camp de Tsannsoumrick.
— [ Le col de Houkioj^ — Occupé de recherches géologiques, je montai hier si
lentement de Békoeur à la plaine du sommet de Houkio-ghauti, que j ’y arrivai
presque de nuit. J’y trouvai mon camp établi dans la ravine où campent les
Békoeurites qui gardent ordinairement le passage. J’avais dit, en quittant le
village, et dun ton très-menaçant, que je désirais n’être suivi de personne. Je
trouvai la route aussi déserte que la veille.
J appris cependant ce matin à mon réveil que quelques cavaliers étaient
venus pendant la nuit, et que campés à peu de distance, ils avaient dit qu’ils
m’empêcheraient de visiter les collines d’alentour, où les coquilles fossiles se
trouvent en plus grande abondance. Sans tenir compte de leurs propos, je fis
marcher mon bagage sur le passage, et suivi de quelques-uns de mes gens, je
commençai au point du jour la reconnaissance géologique des cimes. Les
Békoeurites me voyant reprendre la route de Békoeur, montèrent à cheval et
vinrent près de moi, poussant de grands cris et du geste me disant de rebrousser
chemin. Ils se tenaient toutefois à une assez grande distance. Je fis signe
au plus proche de venir près de moi, désirant lui dire que mon intention
n’était pas de retourner au village. Il approcha, mais sans descendre de cheval;
et après un an de séjour dans l’Inde, je fus si offensé de cette familiarité, que
je le saisis, le jetai à terre et le battis rudement. Le pauvre homme s’enfuit,
remonta à grand'peine sur sa jument qui avait pris l’épouvante et gagné bien
du terrain, et alla rejoindre ses camarades qui s’étaient sauvés à toute bride en
voyant la mauvaise fortune du plus hardi d’entre eux. Ils me laissèrent maître
du champ de bataille pendant une couple d’heures au moins, que j ’errai sur les
collines à la recherche des fossiles.
Ce n’est pas la ligne du partage des eaux qui forme ici la limite des deux
États. Le pays de Békoeur commence au sommet de la ravine de Houkio, dès
que l’on entre sur le plateau ondulé qui s’étend à 3 milles (fl.) environ d’une
pente des montagnes à la pente opposée, et dont la majeure partie serait au
pays de Kanawer si le point culminant formait la frontière. Sur le bord même
de ce plateau, au-dessus de la ravine de Houkio et à cé que l’on appelle le