
paysans les traitent quelquefois tous ensemble, et leur font occasionnellement
de petits présents de grain. Le temple que j ’habitai a été bâti par Ballirâm, ou
un de ses pères. La bibliothèque thibétaine qu’il renferme a été aussi acquise
par sa famille. Mieux eût valu faire des ponts.
Le costume des femmes change ici sensiblement. Leurs cheveux sont tressés
en une multitude de petites nattes qui pendent librement par derrière. Elles
portent le même bonnet que les hommes, à l'exception de la couleur de sa
calotte, qui est rouge. Enfin, aux lourds ornements dont sont chargées les
femmes des villages inférieurs, elles ajoutent une ou deux plaques de cuivre,
plus grandes que la main, et découpées en trèfle, qu’elles attachent au côté sous
lesein. Les hommes ont tous leur briquet pendu à une chaîne de cuivre, et
c’est leur joyau. Il est orné de moulures de cuivre et quelquefois de pierres
communes.
Kanum est depuis plus de 3 ans le séjour de ce Hongrois, mystérieux pour
l’Europe, qui voyage depuis si longtemps en Asie à la recherche de la peuplade
tartare dont sa nation est, dit-on, un essaim, M. Csoma de Kôrôs. Ce qu’il
était, ce qu’il faisait en Europe avant que de venir en Asie, je l’ignore. Mais
dans sa conversation, j ’ai recueilli qu’en 1820 il était à Téhéran; qu'à une
époque postérieure il avait accompagné MM. Allard, Ventura et d’autres officiers
français dans le Pendjâb, où ils venaient prendre du service auprès de
Rendjit-Sing, et qu’il les y avait laissés lorsque leur sort n’était pas encore
décidé. Avant que de quitter l’Europe, il ne semble guère avoir voyagé, si ce
n’est en Prusse, et il ne connait pas même de nom M. Cuillaume de Humboldt !
Cependant, à cette époque, il devait s’être déjà occupé de philologie, puisqu’il
confesse la connaissance du grec et du latin, du russe et de l’hébreu, langues qu’il
n’a pu apprendre depuis son voyage, privé de livres, et, comme il l’est, de toutes
ressources. Il vint par la Transylvanie et la Moldavie, évitant Constantinople
à cause de la peste, s’embarquant en Grèce, je ne sais où, et relâchant dans
plusieurs îles de l’Archipel, pour se rendre en Egypte. D’Egypte il passa en
Syrie, et traversant le désert, arriva à Bagdad. II paraît avoir beaucoup
voyagé en Perse, particulièrement dans les provinces frontières de l’Afga-
nistan, et de là être allé jusqu a Boukhara. Quoique, pour un voyageur de Son
espèce, il semble y avoir sûreté, longtemps après que pour d’autres il n’y
en a plus aucune, il dit qu’il ne voudrait pas retourner en Afganistan. A Boukhara
il courait quelques dangers, et dut renoncer à voir Samarcand. Il a visité
Cachemir et Ladak, Mais il ne s’est avancé que fort peu dans la Tartarie chinoise.
J ignore ce qui l’amena en Kanaor. Il dit que c’est la réputation des
livres thibétains conservés dans le temple de Kànum, mais je présume plutôt que
c’est le désir de se rapprocher du pouvoir anglais, afin d’en obtenir quelques
secours. Il y a trois ans, quand lord Amherst était à Simla, il y descendit et
obtint une pension de 5o roupies ( î 25') 'par mois, pour poursuivre avec plus
de fruit ses recherches philologiques, dont le résultat semblait devoir promettre
quelque intérêt au gouvernement. M. Csoma fit cette première apparition dé
l’autre côté de l’Himalaya dans le costume et dans lé rôle d’un berger tartare ,
vêtu de péau de mouton des pieds à la tête,; avec le ¡>oil en dedans. Il s'exprimait
avec peine en anglais, mais il écrivait Cette langue avec une correction
singulière. D’ailleurs, quelques avances de politesse qu’on lui fit, quelques
espérances qu’on lui offrit de rentrer au sein d’une société européenne, et
d’y jouir de ses plaisirs et de ses commodités, il persista dans le rôle de son
costume, jamais ne s’assit devant un Européen, et ne lui parla jamais sans
ôter ses souliers. Il revint en Kanaor avec sa pension et l’autorisation dé
jouir de la bibliothèquè sacrée de Kanum , le gouvernement ayant fait écrire
à ce sujet au Rajah de Bissahir par le Capitaine Kennedy. Établi dans ce village,
o ù , moyennant l’abandon de la moitié de son revenu, il avait décidé un Lama
de Ladak fort habile à venir vivre avec lui, il vient de passer plus de trois ans
avec cet homme à lire des livres thibétains, et a acquis de cette langue une
connaissance assez parfaite pour la lire sans difficulté, et pour en avoir composé
un vocabulaire et une grammaire, avec lesquels il prétend mettre les
philologues européens à même de l’apprendre. Maintenant il sollicite quelques
secours du gouvernement pour se rendre à Calcutta avec ses manuscrits.
Le capitaine Kennedy avait écrit à M. Csoma, il y a plusieurs semaines, pour
l’informer de mon voyage; et aussitôt après mon arrivée à Kanum, je lui écrivis
quelques lignes extrêmement polies, pour lui dire que je m’empresserais d’aller
le voir dans sa chaumière, si je ne craignais de le désobliger par une attention
qui trahirait hautement la sincérité du caractère asiatique qu’il chercheà conserver.
Il vint sur-le-champ me faire une visite. C’est un homme de zjmans, petit;
assez laid ; le front ridé, les yeux très-fendus, relevés vers les tempes, mais les
pommettes des joues fort effacées, et rien d’un Tartare dans la physionomie ;
le nez et la bouche grands et mal formés; une barbe assez longue, qui commence
à grisonner. Le costume bizarre ; le bonnet national de Kanaor, une
robe de chambre de serge bleue, des caleçons de coton blanc grossier, et des
bas de soie avec des semelles de peau. Il avait laissé ses souliers à la porte: Nous
éprouvâmes quelque difficulté à converser ensemble, obligés de le faire en
anglais, qu’il parle avec un accent si barbare et prononce tellement à contre