
370 JOURNAL,
récolterait au plus 5oo kilog. ; et s'il séchait le tout pour trafiquer, il n’aurait
pas plus de i 5o à 200 kilog. de raisins secs. Il n’y a que les plus riches qui en
fassent autant. Maintenant il n’y a dans l’année qu’une foire à Garou et à
Rampour ; les Kanaoris, dans l’été, vont à la première, ou souvent bien plus
loin, non à l’Est de leur p ays, mais au N . E ., où ils trouvent la laine à meilleur
marché. A Garou (Gortope), environ 15 à 18 jours de marche de Schipki et de
Skialkhur, ils échangent généralement leur blé à poids égal contre de la
laine ( bianghui). Leurs raisins secs, le tabac et le riz qu'ils achètent à Ram-
pour, ils les échangent contre un poids double de bianghui. S’ils portent de
l’argent à ces marchés du Thibet et de la Tartarie, pour une roupie sonàt,
2 fr. 20, ils reçoivent à Garou 7 ou 8 kilog. de bianghui, et à 6. semaines ou
deux mois de marche, a u N .E . o u E .N .E . de Skialkhur, à des marchés moins
fameux, jusqu’à 10 ou 12 kilogrammes.
La charge d’une chèvre ou d’un mouton est en général de 6 à 7 kilog. ; celle
d’un yâk ou d’un dzô (produit du yâk et de la vache) de 60 à 70 kilog. Combien
le plus richeKanaori conduit-il de ces animaux aux foires du Thibet? Moyennement,
20 chèvres ou moutons, et 2 ou 3 bêtes à cornes forment la caravane
d’un marchand; mais il y ën a qui mènent jusqu’à 5o bêtes à laine, et 6 ou 8
bêtes à cornes. Ceux-ci spéculent donc sur 1,000 kilog. environ de bianghui ,-
dont le prix d’achat est de i 5o f r . , et le prix de vente à Rampour le double
environ. Si je quadruplais l ’équipage d’un marchand, et le faisais voyager avec
un troupeau de 200 montons et de 3o bêtes à cornes , le prix de vente de toute
sa laine;seraitencore au-dessous de i , 5oo francs. Sans doute les plus riches du
pays-trafiquent sur de plus grandes valeurs, puisque M. Gérard avança une
fois 1,000 roupies (2,5oo fr.) à un homme de Lipé pour acheter du bianghui à
Garou, pour le compte du gouvernement. Mais ces 1,000 roupies représentent
à Garou 8,000 kilog. de laine , et exigent 1,000 chèvres ou moutons pour leur
transport. Or, il n’y a pas de village en Kanawer qui possède ce nombre d’animaux..
Ainsi donc, pour qu’un villageois étende ainsi ses spéculations, il faut qu il
prive des profits du trafic, u n , deux ou trois villages, et qu’il loue leurs moyens
de transport, leur bétail, pour l’espace de 4 mois. C’est ce que font les principaux
habitants, Mostranme et Ballirâm ( ce dernier, frère de Busonntranme ). Ils
ajoutent à leur bétail déjà plus nombreux que celui du reste des montagnards,
celui qu’ils louent, et ils agrandissent ainsi leurs spéculations. Mais il y a dans
la nature des choses , des limites étroites à leur extension. Du Thibet et de la
Tartarie chinoise, ils ne rapportent que deux denrées, du sel et du bianghui.
Je ne parle pas du paschm ou duvet de Cachemir, parce que la quantité qui
en est vendue chaque année à Rampour, est tout à fait insignifiante. Or, de la
plus chère des deux, du bianghui, car le sel coûte moitié moins que la laine ;
un mouton ou une chèvre ne .portent que pour la valeur d’une roupie, prix
d achat, et de 2 roupies, prix de vente ; un boeuf, ou un yâk, ne porte que pour
10 roupies et comme il n’y a point de chèvres ni de yaks par milliers, dans un
misérable pays où le bétail n’a pour subsister pendant l’hiver que des feuilles
desséchées et les herbes qui croissent alentour des champs, la valeur totale de
ses importations et de ses exportations est évidemment très-médiocre.
Le riz, le tabac, les raisins secs, le fer, que les Kanaoris portent aux foires
de la Tartarie chinoise, ayant, à poids égal, une valeur double ou triple du sel
et de la laine qu’ils en rapportent, s’ils y mènent tous leurs bestiaux à pleine
charge, ils manquent de moyens de transport au retour, pour la moitié, les
deux tiers, ou les trois quarts même de leurs denrées chinoises. Avec une partie
de la valeur de cet excédant de laine ou de sel qu’ils ne sauraient rapporter, ils
achètent alors des chèvres, des moutons et dès yaks, mais surtout des chèvres,
qui leur servent de bêtes de somme au retour.
Ces chèvres sont toutes de la race qui produit le duvet de Cachemir, de
même que tous les moutons produisent du bianghui, et chaque année, un
certain nombre de ces animaux sont importés en Kanawer par les trafiquants
qui reviennent de Garou et des autres marchés de la Tartarie. Ils y dépéris-
sent, y meurent, ou y perdent les traits particuliers de leur race. Le poil des
chèvres de Kanawer, quoique, suivant M. Gérard, il soit assez fin pour faire des
châles communs, est aussi grossier et aussi exempt de duvet que celui des
nôtres (1). La laine des moutons kanaoris est plus longue que celle des races
communes d’Europe, d’une finesse médiocre; tandis que la finesse du bian-
(1) Il y a des degrés de finesse très-divers dans le paschm (d u ve t de Cachemir) * et sans
doute que les Cachemiriens mettent des prix très-divers aux diverses qualités. Moyennement,
11 coûte 2 roupies ( 4f> 4° ) le kilogramme à Garou. Cette quantité, d’après un grand nombre
d’informations, est le produit de 10 à 12 clîèvres. On tond ces animaux, comme les moutons
au commencement de l’é té , et le poil est séparé à la main du paschm. Mais le paschm ainsi
trie a Garou et dans la contrée qui le produit, a encore besoin d’uu assortiment , même pour servir
à faire les châles communs de Rampour. C’est le fileur qui fait lui-même cette seconde opération ;
il la pousse d’autant plus loin qu’il se propose de filer plus fin. Le paschm du pays de Spili est
grossier, mais très-abondant. Il est probable que M. Gérard aura vu en Kanawer un troupeau venu
de ce district; il l’aura pris pour un troupeau indigène , et de là sa méprise. Dans un pays comme
celui-ci, et il en est de même dans tout le Thibet et l’Asie centrale méridionale, où les chèvres et
les moutons servent de bêtes de somme e t voyagent constamment, il est difficile, sinon impossible,
de déterminer la race propre à chaque district. J’ai vu ici des moutons dont la laine avait
plus de o“ ,2 de longueur; ils venaient d’un canton situé à l’orie'nt du lac Mansarower. J’y ai vu
aussi des chèvres achetées à Garou : peut-être venaient-elles de Teschou-Lombou ou de Lassa.