
crevasse, c’est le lit de lAglaur. Elle se précipite entre des escarpements verticaux
, et c’est dans le lit du torrent même, tantôt sautant d’un quartier de
roche à l’autre, tantôt marchant dans ses eaux froides, que Ion passe ce
défilé tortueux. Il a environ une centaine de mètres de longueur.
Il s’ouvre au-dessus, en un vallon dont le fond est moins plat que l’étroite
grève de ce torrent entre Bouhànne et Tatourah, et où la culture s étend
d’espace en espace dans des sortes de petits bassins disposés d’étage en étage
les uns au-dessus des autres. L ’aspect en est riant. L ’Euphorbe arborescente
dont j ’ai parlé, et la plupart des autres plantes tropicales qui montent des
plaines de l’Hindoustan dans le Délira -Dhoun, à 1 exception du Bauhinia
purpurea, passent le défilé et se retrouvent au-dessus presqu’avec la même
abondance qu’au-dessous. Il y a plus d’humidité, plus de verdure. Les riches
rubans de verdure qui descendent en ondulant sur les pentes brunâtres et
jaunâtres des montagnes, sont plus rapprochés, e t, là où ils arrivent au
vallon, le ruisseau, qu’ils masquent, inondant le pied des montagnes, nourrit
de larges ombrages. L’Aglaur est bien plus rapide qu’hier. L ’inclinaison du
fond de la vallée est sensible à l’oeil, sur la plus médiocre longueur; l’élévation
se manifeste bientôt par la teinte plus verte des montagnes dégarnies
de forêts. Le sentier quittant le fond du vallon qui s’étrangle de nouveau en
une étroite et profonde fissure à bords verticaux, s’élève en serpentant parmi
les gazons des montagnes. J’y retrouve plusieurs espèces de plantes que j ’avais
cessé de voir à quelques centaines de mètres au-dessous des sommets de Landaor,
et quelques espèces nouvelles. La plus élégante -est une Scutellaire;
elle forme des touffes fleuries de larges fleurs roses, tachetées de jaune sur
la lèvre inférieure de la corolle ; on dirait une Linaire.
Un village de quatre ou cinq chaumières adossées les unes aux autres
se montre, entouré de champs d’un vert délicieux, sur une plate-forme qui
commande la rive gauche de lA g lau r : celle-ci coule en ce lieu aufondde ravines
étroites. Derrière le village, des montagnes gazonnées ou couvertes de forêts
se déploient en amphithéâtre. C’est un point de vue très-agréable. Mais le
sentier est tracé là sur la rive droite du torrent, et le hameau est pour les
voyageurs, du fruit défendu. Je regrette de n’avoir pu en connaître le nom. Plusieurs
Singes qui se jouaient dans les herbes sur les pentes le long desquelles
ma caravane s’avançait, se sauvèrent à notre approche, et malgré l’extrême
profondeur de la crevasse au fond de laquelle coule 1 Aglaur, nous les vîmes
bientôt reparaître et gambader sur l’autre rive, comme s ils eussent voulu
se moquer de nous. Ce sont' les premiers de ces animaux que j ’aie vus dans
les montagnes; et vraisemblablement, c’est ici une de leurs demeures les
plus élevées.
Au-dessus de ce v illag e , le lit de l’Aglaur s’exhausse rapidement et se
trouve bientôt de niveau avec le sommet des murailles, qui l’encaissaient au-
dessous. Le sentier passe alors sur la rive gauche;, après une demi-heure de
marche , je rencontrai quelques pieds rabougris de Rhododendron, de Quercus
(Catalogue de Mossouri) et de l’arbre cité au même lieu, dont le feuillage
est mortel aux chèvres. Tous, trois se montrèrent à la fois.
De là à Marara, hameau dont je dois croire l’existence sur parole, car il
est caché comme celui d’hier dans quelque ravine, mais où mes gens trouvent
sans difficulté du grain qu’ils sont obligés de moudre eux-mêmes, il n’y a
qu’une heure de marche très-lente.
Cette journée a encore enrichi mes. herbiers d’un assez grand nombre des,
pèces nouvelles. Mais elle ne m’a offert aucun intérêt géologique. Le défilé
de 1 Aglaur, au-dessus du petit cirque de Bouhànne, est ouvert dans des
roches de Quartz grenu, décrites précédemment, horizontales ou légèrement
penchées vers le S . O . ; la fissure paraît produite par un écartement de la montagne.
Ces bancs de Quartz grenu forment, par leur empilement, d’énormes
épaisseurs où ne s’intercalent aucunes couches schisteuses ; mais plus haut
celles-ci reparaissent, non-seulement avec les caractères qu’elles offrent immédiatement
sous le défilé, quartzeuses, verdâtres, et comme talqueuses, mais
bleuâtres et tendres, et parfaitement caractérisées comme Schiste argileux.
Le 5 mai i83o. A Lalouri, , 3 heures | de marche, moins lente qu’hier, de Marara.
L Aglaur à Marara n’est plus qu’un ruisseau. En moins d’une heure de
marche, je parvins au sommet de son vallon qui meurt en une ravine dans
des bois de Chêne ( Catalogue de Mossouri), de Rhododendron et de l’arbre
que j ’ai eu occasion de citer comme habitant avec eux. Ses capsules desséchées
me donnent à penser que c’est un Andromeda. Une espèce nouvelle de Chêne,
a feuilles lisses en dessous et presque épineuses sur les dentelures, se mêle ici
à 1 espèce commune. C’est la première fois que je le rencontre, mais sans fleurs
ni glands. Un Eloeagnus fleurit dans cette forêt.
A 6 heures du matin, j ’arrivai au sommet du passage qui conduit de ce
vallon tributaire de la Jumna, dans les vallées affiuentes du Gange. Il est
assez large et presque u n i, couvert d’une belle pelouse et dominé à l’ouest
par des montagnes boisées d’une faible élévation. C’est un site riant et doux,
qui ramène l ’imagination dans les plaines de l’Europe.