
Kennedy le renvoya dans son château de bois sous une escorte de Gorkhas,
la même que j ’ai vue établie auprès ; et il stipula avec les chefs des villages de
cette principauté, qu’ils lui feraient chaque année une pension dè 6000 roupies
ou 15,ooo fr. Elle lui est payée par le Gouvernement anglais, et il n’a
plus aucun droit sur ses anciens sujets. Ce district est devenu parfaitement
paisible.
Une des conditions imposées à tous les chefs montagnards par le Gouvernement
anglais, quand il les réintégra en iffi 5 , est de n’entretenir aucune
force armée. Le Gouvernement. s’est engagé en même temps1 à les protéger,
soit des invasions de leurs voisins, soit contre la révolte de leurs sujets.
Cette interférence s’exerce toujours avec justice et humanité. Il s’en faut que
ce soit une prime d’assurance accordée aux chefs pour l’oppression de leurs
paysans.
Chacun de ces chefs entretient près du capitaine Kennedy un Vakîl qui le
suit partout. Par lui, l’officier anglais exprime ses désirs ou signifie ses ordres
au petit prince. Si un meurtre a été commis sur son territoire, il exige que
des poursuites soient faites et qu’une enquête soit dirigée; Si le coupable est
arrêté, il ordonne qu’il soit pendu; et autant que faire se peut, i l le juge
lui-même, appelant près de lui le prévenu, les- ¡témoins :et les officiers d u
Rajah. Car ceux-ci n’y regardent pas de près dans l’application de la peine.
Dernièrement, dans un de ces petits Etats protégés, un pauvre homme, atteint
d’un accès de folie, se coupa la gorge. Nul soupçon de meurtre. Cependant
le Rajah se crut obligé d’informer le capitaine Kennedy de cet événement, et
de lui offrir de faire pendre en conséquence un fort mauvais sujet, impliqué
jadis dans beaucoup d’affaires fâcheuses: Le Rajah de Bissahir lui-même
est toujours fort disposé à pendre ses fidèles sujets pour faire politesse à l’a gent
britannique.
Mais un petit nombre d’exemples sévères, faits dès le principe de l’établissement
de la puissance anglaise dans ces ¡contrées, ont suffi pour rendre extrêmement
rares les occasions de les renouveler. Des habitudes de brigandage
existaient dans quelques districts. Des partis de Kanaweris traversaient de
temps à autre les neiges perpétuelles de l’Himalaya pour rançonner quelque
riche vallée de sa pente indienne ; mais c’étaient plutôt de petites expéditions
militaires que des actes de brigandage vulgaire. De ce côté-ci des montagnes,
de vallée à vallée voisine, les habitants de tous les villages se pillaient aussi
quelquefois les uns les autres : mais c'était encore une sorte de gu e r re ,
conséquence de l ’extrême division du territoire en principautés distinctes et
indépendantes , comme, en Italie au ¡temps des Romains et des Sabins. Le
véritable brigandage, celui qu engendre la misère, est maintenant sans exemple
dans tout le, territoire habité de f Himalaya ; et il paraît qu’il y fut de tout temps
fort rare. C’est que l’on n y voit jamais les derniers dfegrés de la misère. Chaque
petit Etat n’a guère qu’un membre superflu, son Rajah, et autour de lui quelques
officiers économiquement rétribués. Au-dessous de cette petite cour, tout est
peuple, tout travadle, peu et mal sans doute, et dans des circonstances naturelles
très-défavorables à la production ; mais il y a une égalité presque parfaite
dans la consommation de chacun. Il n’y a qu’une sorte d’habillement,
comme il n!y a qu’une manière de se nourrir, et de se loger. Point de ces
gros consommateurs auxquelsnous savons tant de gré en Europe, de ce qu’ils
veulent bien dévorer la part de cent autres ; et moyennant cette ¡égale répartition
des richesses de toute la petite communauté sociale, après que là part
du Roi a été:prélevée, il reste à chacun de quoi vivre. La mendicité est in-
connue.
A défaut d héritiers, .ces petites principautés deviennent la propriété pleine
et entière du Gouvernement anglais. Il en a acquis de cette manière deux ou
trois depuis une quinzaine d’années, et les gouverne très-paternellement.
L impôt foncier q u il lève sur elles est égal au quart du produit net de la
terre. Dans les années fâcheuses pour les récoltes, il fait une remise. II n’y a
point de particulier en Europe qui traite son fermier avec cette générosité.
Elle coûte peu ici:, tant sont faibles les revenus dont le Gouvernement fàit
quelquefois ainsi l’abandon partiel. L ’établissement de Soubhatou, quoiqu’on
y ait concentré dans un seul fonctionnaire le commandement militaire et
tous les pouvoirs civils, judiciaires et politiques, n ’est pas défrayé de sa dépense
par les impôts et les tributs si nombreux qui y sont acquittés. Il en
est de même de l’établissement semblable de Dehra. La conquête de l’Hima-
laya n a imposé aux Anglais qu’une charge nouvelle.
Le capitaine Kennedy' renchérit encore sur les éloges que fait le major
Young des Gorkhas, dont l’un et l’autre commandent un régiment. Ils ont la
même admirable discipline que les sipahis des plaines, avec la vivacité et
le courage des troupes européennes.. Un détachement du corps de Soubhatou
était au siège de Burtpour, et ce Soubehdar de si bonne mine que je vis
à Khôtikaye, y monta des premiers à l’assaut. Les officiers de l’armée régulière
les plus favorables au caractère indien, admettent tous cependant que
la fidélité de leurs troupes n’a d’autre principe que la rigoureuse exactitude
du Gouvernement à les payer; on m’assure, au contraire, que les Gorkhas