ques repréfentoient non-feulement le v ifage, mais
même la tête entière, ou ferrée, ou large, ou chauve
, ou couverte de cheveux, ou ronde, ou pointue.
Ces mafques couvroient toute la tête de l’auteur
; & ils paroiffoient faits, comme en jugeoit le
finge d’Efope, pour avoir de la cervelle. On peut
juftifier ce que nous difons, en ouvrant l’ancien ma-
nufcrit de Térence, qui eft à la bibliothèque du Roi,
& même le Térence de madame Dacier.
L’ufage des mafques empêchoit donc qu’on ne vît
fouvent unaâeur déjà flétri par l’âge, jouer le perfonnage
d’un jeune homme amoureux & aimé. Hyp-
polite, Hercule , & Neftor, ne paroiffoient fur le
théâtre, qu’avec une tête reconnoiffable à l’aide de
fa convenance avec leur caraétere connu. Le vifage
fous lequel l’aûeur paroiffoit, étoit toujours afforti
à fon rôle, & l’on ne voyoit jamais un comédien
jouer le rôle d’un honnête homme, avec la phyfio-
nomie d’un fripon parfait. Les compofiteurs de déclamation
, c’eft Quintilien qui parle, lorfqu’ils
mettent une piece au théâtre, lavent tirer des mafques
même le pathétique. Dans les tragédies, Nio-
be paroit avec un vifage trifte, & Médée nous annonce
fon caraétere, par l’air atroce de fa phyfio-
nomie. La force & la fierté font dépeintes fur le
mafque d’HercuIe. Le mafque d’Ajax eft le vifage
d un homme hors de lui-même. Dans les comédies,
les mafques des valets, des marchands d’efclaves, Sc
des parafites, ceux des perfonnages d’hommes greffiers
, de foldat, de vieille, de courtifane, & de
femme efclave, ont tous leur caraétere particulier.
On difeerne par le mafque, le vieillard auftere d’avec
le vieillard indulgent ; les jeunes gens qui font fages,
d^avec ceux qui font débauchés ; une jeune fille
d’avec une femme de dignité. Si le pere, des intérêts
duquel il s agit principalement dans la comédie,
doit être quelquefois content, & quelquefois fâché,
il a un des fourcils de fon mafque froncé, & l’autre
rabatu, & il a une grande attention à montrer aux
fpeaateurs, celui des côtés de fon mafque y lequel
convient à fa fituation préfente.
On peut conjecturer que le comédien qui portoit
ce mafque, fe tournoit tantôt d’un cô té , tantôt d’un
autre, pour montrer toujours le côté du vifage qui
convenoit à fa fituation aûuelle; quand on jouoit I
les feenes où il devoit changer d’affeÔion , fans
qu il put changer de mafque derrière le théâtre. Par
exemple, fi ce pere entroit content fur lafeene, il
prefentoit d’abord le côté de fon mafque, dont le
fourcil etoit rabattu ; & lorfqu’il changeoit de fen-
timent, il marchoit fur le théâtre, & il faifoit fi
bien, qu il préfentoit le côté du mafque, dont le
fourcil étoit froncé, obfervant dans l’une & dans
1 autre fituation, de fe tourner toujours de profil.
Nous avons des pierres gravées qui repréfentent de
ces mafques à double vifage, & quantité qui repré-
ientent des fimples mafques tout diverfifiés.Pollux en
parlant des mafques de caraaeres, dit que celui du
vieillard qui joue le premier rôle dans la comédie
don etre chagrin d’un côté, &férein de l’autre. Le
meme auteur dit aufli, en parlant des mafques des
tragédies , qui doivent être caraaérifés, que celui
de lhamiris, ce fameux téméraire que les Mufes
rendirent aveugle, parce qu’il avoit ofé les défier,
devoit avoir un oeil bleu, & l’autre noir.
Les\ mafques des anciens mettoient encore beaucoup
de vraiffemblance, dans ces pièces excellentes
ou le noeud naît de 1 erreur, qui fait prendre un personnage
pour un autre perfonnage, par une partie
des a&eurs. Le fpedateur qui fe trompoit lui même,
en voulant difcerner deux a fleurs , dont le mafque
etoit aufli reffemblant qu’on le vouloit, concevoit
facilement que les a&eurîs’y mépriffent eux-mêmes,
i l le hvroit donc fans peine à la fuppofition fur laquelle
les incidens de la piece font fondés, au-lieu
que cette fuppofition eft fi peu vraiffemblable parmi
nous, que nous avons beaucoup de peine à nous y
ü T r-D«ann a rePrefentation des deux pièces que
Moliere & Renard ont imitées de Plaute, nous re-
connoiffons diftinéleinent les perfonnes qui donnent
beu a 1 erreur, pour être des perfonnages différens.
Comment concevoir que les autres adeurs qui les
voyent encore de plus près que nous puiffent s’y
méprendre? Ce n’eff donc que par l’habitude où
nous tommes de nous prêter à toutes les fuppofitions
établies fur le théâtre, par l’ufage, que nous entrons
dans celles qui font le noeud de l’Amphitrion & des
Menechmes.
Ces mafques donnoient encore aux anciens la commodité
ne pouvoir faire jouer à des hommes ceux des
perfonnages de femmes, dont la déclamation deman-
doit des poulmons plus robuftes que ne le fontcom-
munement ceux des femmes, fur-tout quand il fal-
lon fo faire entendre en des lieux aufli vaftes que les
théâtres l’étoient à Rome. En effet, plufieurs paffa-
ges des écrivains de l’antiquité, entre autres le récit
que fait Aulugelle de l’aventure arrivée à un comédien
nommé Polus, qui jouoit le perfonnage d’Electre,
nous apprennent que les anciens diftribuoient
îouvent à des hommes des rôles de femme. Aulugelle
raconte donc, que ce Polus jouant fur le théâtre
d’Athènes le rôle d’Eleftre dans la tragédie de
Sophocle, il entra fur la feene en tenant une urne où
etoient véritablement les cendres d’un de fes enfans
qu’il venoit de perdre. Ce fut dans l’endroit de la
piece où il falloit qu’EleÛre parût tenant dans fes
mains l’urne où elle croit que font les cendres de
fon frere Orefte. Comme Polus fe toucha exceflive*
ment en apoflrpphant fon urne, il toucha de même
toute l’affemblée. Juvénal dit, en critiquant Néron ,
qu’il falloit mettre aux piés des ffatues de cet empereur
des mafques, des thyrfes, la robbe d’Antigone
enfin, comme une efpece de trophée, qui confervât
la mémoire de fes grandes aâions. Ce difeours fup-
pofe manifeftement que Néron avoit joué le rôle de
la feene d’Etéocle & de Polinice dans quelque tragédie.
^
Onintroduifit aufli, à l’aide de ces mafques, toutes
fortes de nations étrangères fur le théâtre, avec la
phyfionomie qui leur étoit particulière. Le mafque
du batave aux cheveux roux, & qui eft l’objet de
votre rifée, fait peur aux enfans, dit Martial.
RufiperfonaBatavi
Quem tu déridés, heee timet ora puer.
Ces mafques donnoient même lieu aux amans de
faire des galanteries à leurs maîtreffes. Suétone nous
apprend que lorfque Néron montoit fur le théâtre
pour y représenter un dieu ou un héros, il portoit
un mafque fdit d’après fon vifage ; mais lorfqu’il y
reprelentoit quelque déefle ou quelque héroïne, il
portoit alors un mafque qui reffembloit à la femme
qu il aimoit actuellement. Heroum deorumque, item
heroidum , per fouis ejfeclis ad fîmilitudinem oris fu i ,
& femina prout quamque diligeret.
Julius Pollux qui compofa fon ouvrage pour l’empereur
Commode , nous affure que dans l’ancienne
comedie greque, qui fe donnoit la liberté de cara-
âérifer & de jouer les citoyens vivans, les aCteurs
portaient un mafque qui reffembloit à la perfonne
qu’ils repréfentoient dans la piece. Ainfi Socrate a
pu voir fur le théâtre d’Athènes un aCteur qui portoit
un mafque qui lui reffembloit, lorfqu’Ariftophane
lui fit jouer un perfonnage fous le propre nom de
Socrate dans la comédie des Nuées. Ce même Pollux
nous donne dans le chapitre de fon livre que je
viens de citer, un détail curieux fur les différens caractères
des mafques quifervoient dans les repréfentatïôfts*
des comédies, & dans celles des tragédie^'
Mais d’un autre c'ôté, Ces mafques faifoient perdre
aux fpe&atetirs lé plaifir de voir naître les paillons,
& de reconnoître leurs différens fymptômes fur le vifage
des aCteurs. Toutes les expreflions d’un homme
paflîonné refus affeCtent bien; mais les figues de la
paflion qui fe rendent fenfibles fur fon vifage ; nous
affectent beaucoup plus que les lignes de la paflion
qui fe rendent fenfibles par le moyen de fon gefte,
oc par la voix. Cependant les comédiens des anciens
ne pOiivoient pas rendre fenfibles fur leur
vifage lés lignes des pallions. 11 étoit rare qu’ils quit-
taffertt le mafque , & même il y avoit une efpece de
comédiens qui ne le quittoienr jamais. Nous fouf-
froris bien, il eft vrai, que nos èdmédiens nous cachent
aujourd’hui la moitié des fignes des pallions
qui peuvent être marquées fur lè vifage. Ces fignes
confiftent aiitaht dans les altérations qui fufvien-
nent à la couleur du vifagé, que dahs les altérations
qui furviennent à fes traits. Or le rouge qui eft à la
mode depuis cinquante ans, & que les hommes mêmes
mettent avant que de monter fur le théâtre,
nous empêche d’apercevoir les changemens de couleur,
qui dans la nature font une fi grande impref-
fion fur nous. Mais le mafque des comédiens anciens
cachoit encore l’altération des traits que le rouge
nous Iâiffe voir.
On pourroit dire en faveur de leur mafque, qu’il
ne cachoit point au fpe&ateur les yeux du comédien
, & que les yeux font la partie du vifage qui
hoüs parle le plus intelligiblement. Mais il faut
avouer que la plupart des paflions, principalement
les pallions tendres, ne fauroient être fi bien exprimées
par un aéteur mafqüé, que par un aCteur qui
joue à vifage découvert. Ce dernier peut s’aider de
tous lës moyens d’exprimer la paflion que l’adeur
mafque peut employer, & il peut encore faire voit
des fignes des pallions dont l’autre ne fâuroit s’aider.
Je croirois donc volontiers, avec l’abbé du 6os
que les anciens qui avoit tant de goût pour la re-
preféntatiori des pièces de théâtre, auroient fait
quitter le mafque à tous les comédiens, fans une râi-
fon bien forte qui les en empêchoit ; c’eft que leur
théâtre étant très-vafte & fans voûte ni couverture
folide, les comédiens tiroiértt un grand fervice du
mafque , qui leür donnoit le moyen de fe faire entendre
de tous les fpédatèurS, quand d’un autre côté
ce mafque leür faifoit perdre peu de chofe. En effet,
il étoit impoflible que les altérations du vifagé quë
le mafque cache, fuflent apperçùés diftindement dès
fpedatpurs, dont plufieurs étoient éloignés de plus
de douze ou quinze toifes du comédien qui récitoit.
Dans une fi grande diftance, lés anciens retiroient
cet avantage de la concavité de leurs mafques, qü’ils
fervoiérit a. augmenter le fon de la voix ; e’eft ce
que nous^ apprennent Aulugelle &: Boëce qui en
etoient témoins tous les jours. Peut - être que l’on
jdàçoit dans la bouche de ces mafques une incrufta-
tion de lames d’airain ou d’autres corps foriôres
propres à produire cet effet. On voit par les figures
des mafques antiques qui font dans lès anciens manuf-
crus, fur les pierres gravées fur les médailles, dans
les ruines du théâtre de Marcellus, & de plufieurs
autres mOnùmens, que l’ouverture de leur bouche
étoit exceflïve. C’étoit une efpece de gueule béante
qui faifoit peur aux petits enfans.
Tandemque redit ad pulpïta notum
Exodium , curn perfonæ pallentis hiatum ,
In gremio matris formidat rufiieus infans.
Juven.fat. iij.
Or fuivant lés apparences les anciens n’auroient
pas fouffért cé défagrément dans les mafques de théâtre
, s ils n’en âvoient point tiré quelque grand ayaniragè
; te cè grand avàhtage confiftoit fans cloute
dans la commodité d’y mieux ajufter les cornets propres
à renforcer la voix des afteurs. Ceux qui récitent
dans les tragédies, dit Prudence, fe couvrent la
ete dun mafque de bois , & c ’eft par I’ouvertuife
qu on y a menageé; qu’ils font entendre au loin leur
déclamation.
Tandis que U.iïâfqùc ktvô\t à pôrtér la voix dans
1 eloignement, ils faifoient perdre, par rapport i
1 expreflion du vifagé, peu de chofe aux fpe«areiirs
dont les trois quarts n’aurôient pas été à portée
d apperceyoir l’effet des paffions fur le vifage des
comédiens, du - moins aflez diftinftement pour les
T°ir pWfir; On ne fauréit déiriéler ces expref-
fions k une diftance de laquelle on peut néanmoins
difcerner 1 âge, St les autres traits les pliis marqués
du caraftere d’un ma/qïti. II faudtoit qü’tthe expref-
fion fut faite avec des grimaces horriblesj pour être
fenfiMeà des fpeflateurs éloignés de la feene, aus
delà de èinq ou fix toifès.
Ajoutons une autre obfervatiOri, c’eft qüé les acteurs
des anciens ne joiiOient pas comme les nôtres *
à la clarté des lumières artificielles qui éclairent
dè tous cotes, mais à la clarté du j&ür, qui devoit
1 ailler beaucoup d’ombres fur Une feené où le jour
ne venoit guère que d’ert-haut. Or la jufteffe de la
déclamation exige fouvent que l’altération des traits
dans laquelle une expreflion confifte, ne foit pref-
que point marquée ; c’eft ce qui arrive dahs les fituà-
tions ou il faut que l’afteilr laifîe échapper, malgré
lui, quelques fignes de fa paflion.
Enfin les mafques dés anciens répondoieht au refte
de 1 habillement des aaetirS, qu’il falloit faire pâ-
roirre plus grands & plus gros que ne le font les
hommes ordinaires. La nature Ôc le caradere du
genre fatynque demandoit de tels mafqùes pour re-
prefenter des fatyres, des faunes, des cÿclopes, &
autres etres forgés dans le cerveau des Pôëtes. La
tragédie fur-tôùt en avôit un befoin indifperïfablé
pour donner aux héros & aux demi-dieux cet air
de grandeur & de dignité, qu’on fuppofoit qu’ils
avoient eu pendant leur vie. Il né s’agit pas d’ëxa-
miner fur quoi étoit fondé cè préjugé, & s’il eft
Vrai que ces héros & ces demi - dieux avoient été
feellement plus grands que nature ; il fiiffit que ce
fut une opinion établie, & que lè peuple le crût
ainfi, pour ne pouvoir les fèpréferiter autrement
lans choquer la vraiflemblancè.
Concluons que lés anciens avoient lës mafques
qui convenoient le mieux à leurs théâtres, & qu’ils
né poüvoient pas fe difpéhfer d’en faire porter à
leurs afteiirs, quoique nous ayons raifort à notre
tour de fâire joiièr rtos aéteurs à vilagè déçôüvèrti
Cependant i’iifage des mâfquès a fubfifté long-
téms lur nos théâtres, en chartgeànt feulement la
forme & la nature des rhafques. Plufieurs afteiirs de
la comédie italienne font encore mafqués, plufieurs
danfeurs ie font aufli. Il n’y a pas même fort Iong-
tems qu’on fe fervoit communément du mafque fur
le théâtre frânçois, dans la repréfentatiori des cO-
mediês, & quelquefois même dans la reptéfëntàtion
des tragédies.
Plufieurs modernes ont tâché d’écîaircir cettè
PaJ"^e là littérature qui regardé les mafques de
théâtre de l’antiquité. Savaron y a travaillé dans fes
notés fur Sidonius Apôllinaris. L’abbé Pacichélli en
a recherche l’origine & lès ufages dans fon traité
de mafchéris ctu larvis. M. Boindin en a fait üft fyf-
teme très-fuivi par un excellent difcoïirs inféré dans
les Mémoires de liftéràturè. Enfin un favant italien,
Ficoroniüs ( Francifcus), a recueilli fur ce même
fujêt des particularités curieufes dans fa diflertation.
latinè de Larvis fcthicis, & figuris comicis antiq. rornt
imprimée à Rome en 1750, //z-40, avec fig. mais